Annonce La famille d'un journaliste, opposant de Flosse, a décidé de porter plainte pour assassinat. Disparu depuis sept ans dans les limbes du Pacifique l'enfer au paradis. Depuis sept ans tout juste, un homme a disparu à Tahiti, évaporé dans les eaux du Pacifique, évanoui dans les dédales des archipels. Mais incroyablement présent dans les mémoires polynésiennes, au point de les hanter. Jean-Pascal Couraud avait 37 ans. Depuis le 15 décembre 1997, il n'a plus donné signe de vie. Et personne n'a témoigné spontanément de sa présence. Beau mec, surfeur et nageur, journaliste d'investigation qui signait «JPK» dans le quotidien local les Nouvelles, il était devenu au fil du temps un opposant résolu à Gaston Flosse, l'empereur polynésien, le tout-puissant ami de Jacques Chirac. Hypothèses. Depuis un septennat, la justice s'est étonnamment obstinée à privilégier l'unique piste du suicide. Consciencieusement, elle a évité de fouiller toutes les autres hypothèses : exil volontaire ou forcé, crime passionnel ou assassinat politique. Pire : malgré de nouveaux témoignages, elle refuse d'ouvrir un complément d'information. Las! La famille du disparu vient de se résoudre à porter plainte contre X, avec constitution de partie civile, pour assassinat et complicité. Dans une lettre qui devrait parvenir au garde des Sceaux demain, jour anniversaire de la disparition de Jean-Pascal Couraud, elle s'en explique. Cette missive constitue une longue et circonstanciée plainte contre le fonctionnement de la justice. «Le refus du procureur de rouvrir cette enquête [...] est pour nous d'autant plus grave et choquant qu'il est en fait uniquement motivé par la crainte des retombées que pourrait avoir cette réouverture dans le contexte de la crise politique que connaît actuellement la Polynésie-Française», écrit Philippe Couraud, frère aîné de Jean-Pascal et créateur d'un récent comité de soutien. C'est en octobre dernier que la famille Couraud a «peu à peu abandonné la thèse du suicide». Jusqu'alors, elle privilégiait cette piste parce que l'institution judiciaire l'avait elle-même favorisée. Un officier de gendarmerie en charge de l'affaire en 1997, aujourd'hui en poste en métropole, reconnaît bien volontiers que «c'était la seule thèse qui prévalait. Nous n'avions pas d'instruction pour enquêter sur autre chose. Jamais il n'a été question d'assassinat, voire de crime. Nous avons développé de lourds moyens ­ un hélicoptère, des bateaux, des plongeurs, une équipe de gendarmes alpinistes. Mais dans le seul but de trouver le corps d'un suicidé». Il faut dire qu'au moment des faits, JPK n'allait pas bien. L'approche de la quarantaine, une impasse professionnelle, des difficultés de couple, faisaient de lui un désespéré potentiel. Des faits viennent corroborer cette hypothèse. Comme par exemple une lettre adressée à son épouse ­ qu'elle s'est étonnamment empressée de détruire après l'avoir montrée à un tiers ­ qui disait : «Là où je vais, je t'aimerai toujours.» Ou encore la disparition des palmes de nage de Couraud. «Tout était fait pour laisser penser qu'il était parti pour nager et se noyer d'épuisement», témoigne aujourd'hui le frère du disparu. Mais, le 6 octobre, en plein embrouillamini électoral, un ministre du gouvernement indépendantiste Temaru, Gilles Tefaatau, livre aux gendarmes un témoignage incroyable. Dans son audition, l'ex-pasteur adventiste assure qu'un individu, Vetea Guilloux, membre du Groupement d'intervention de Polynésie (GIP, fondé par Gaston Flosse), lui a confié avoir participé à l'assassinat de JPK. Selon le procès-verbal de Tefaatau, une équipe du GIP «composée de 5 hommes a amené [le journaliste] sur un bateau. Il a été attaché avec une corde d'une longueur de 15 mètres. Son corps a été lesté aux pieds avec des parpaings et il a été immergé». Les gros bras, dont Guilloux, effectuent la même opération à plusieurs reprises. Puis «ils ont lâché définitivement JPK afin qu'il coule». Le 12 octobre, les gendarmes placent en garde à vue Vetea Guilloux, fils du numéro 2 du GIP. Lors de sa première audition, il assure «avoir pris en filature JPK» avant d'assister à son «enlèvement» par des collègues du GIP. Lesquels lui auraient confié au cours d'une soirée arrosée avoir immergé le journaliste «entre Tahiti et Moorea». Confronté à ses collègues, Guilloux se rétracte. Bras droit. Les gendarmes interrogent alors le numéro 1 du GIP, Léonard Puputauki, dit Rere. Bras droit de Flosse, cet ancien officier de marine ne dit rien mais dépose plainte contre Guilloux pour «dénonciation calomnieuse». Ce dernier est jugé en comparution immédiate. Il est condamné à douze mois de prison dont trois mois ferme. Le 4 novembre, entendu par la cour d'appel de Papeete, il maintient avoir «été témoin oculaire de l'assassinat de M. Couraud». Quatorze jours plus tard, la même juridiction ordonne un supplément d'information, libère Vetea Guilloux tout en l'assignant à résidence. A aucun moment le juge chargé depuis janvier 1998 de l'affaire JPK n'a été tenu officiellement informé par le parquet de l'existence potentielle de ces faits nouveaux. Pour la justice, la disparition du journaliste est en fait soldée depuis avril 2002. Par un non-lieu.