Annonce La Cour suprême déclare illégaux les tribunaux de Guantanamo La décision de la Cour Suprême repose la question du statut des prisonniers de Guantanamo (Photo AP/T. McKoy, US Army) En complément Vidéo : Guantanamo : les tribunaux militaires illégaux 27 ans après le génocide, le procès des Khmers rouges s'ouvre au Cambodge Les Tigres tamouls lancent un ultimatum aux observateurs européens Bouteflika ranime la polémique Bolivie : Evo Morales remporterait une courte victoire à la Constituante Ultimatum lancé à Israël, intensification des opérations dans le nord de Gaza Les deux candidats à la présidentielle revendiquent la victoire Afghanistan : les talibans sont de retour Disparitions forcées : l'ONU met fin à l'impunité des États La Finlande vante sa relation avec la Russie Retour | Rubrique International La condamnation des «commissions militaires» inflige un camouflet à Bush dans sa «guerre antiterroriste» et pourrait sonner le glas de la prison d'exception. LA COUR SUPRÊME des États-Unis a peut-être enfoncé hier le dernier clou sur le cercueil de Guantanamo. Dans une décision prise par cinq juges contre trois, la plus haute juridiction américaine a jugé illégales les procédures judiciaires d'exception mises en place dans la prison militaire enclavée au sud de Cuba. S'ajoutant aux pressions internationales et aux doutes exprimés depuis quelque temps par les dirigeants américains, cet arrêt pourrait hâter la fermeture de la prison pour «ennemis combattants» qui a tant nui à l'image de l'Amérique depuis quatre ans et demi. Rien de tel n'est formellement exigé par les juges, qui se prononcent uniquement sur les «commissions militaires» créées par un décret présidentiel du 13 novembre 2001. Pour éviter d'avoir à juger les détenus capturés en Afghanistan devant des tribunaux civils considérés comme trop exigeants en matière de preuves, l'Administration avait mis sur pied un système ad hoc, inspiré des cours martiales mais sans toutes les garanties procédurales prévues pour les tribunaux militaires réguliers. Salim Ahmed Hamdan, 36 ans, un Yéménite accusé d'avoir été le chauffeur et garde du corps de Ben Laden, contestait devant la justice civile la légalité de ces juridictions exclusivement composées de militaires (même le jury) et capables d'infliger la peine de mort. Dix détenus seulement sur les 750 passés par Guantanamo ont été inculpés devant ces tribunaux. Aucun procès n'a dépassé le stade des audiences préliminaires, à cause des recours intentés, des accusés refusant de coopérer et des avocats militaires contestant les règles du jeu. La Cour suprême a donné raison au plaignant et débouté l'Administration Bush sur toute la ligne. Celle-ci avait tenté d'amener les neuf juges à se dessaisir de la question en alléguant que l'amendement «Graham-Levin» (du nom de deux sénateurs) voté en décembre dernier, qui retire aux «ennemis combattants» le droit constitutionnel de contester leur détention («habeas corpus»), s'appliquait de manière rétroactive. Revers sérieux Elle alléguait ensuite que le Congrès avait dûment légalisé les «commissions militaires». Et enfin que les procédures elles-mêmes étaient légales. Au terme de sa décision, attendue depuis plusieurs mois (les audiences avaient eu lieu en mars), la juridiction suprême américaine bat en brèche tous ces arguments et «conclut que la commission militaire formée pour juger Hamdan est incompétente pour y procéder parce que sa structure et ses procédures violent» les conventions internationales sur le traitement des prisonniers ainsi que les règles du Code militaire américain. En clair, Bush a tout faux. C'est un sérieux revers pour le président dans sa «guerre antiterroriste». Il avait déjà été contredit par la haute cour en juin 2004 lorsqu'elle lui avait dénié le droit de détenir indéfiniment des suspects de terrorisme et de les priver d'accès à la justice. Cette fois, elle estime qu'il a outrepassé ses pouvoirs présidentiels en créant des juridictions d'exception, que celles-ci n'ont pas été dûment approuvées par une loi du Congrès et que leur fonctionnement ne garantit pas le traitement équitable auquel ont droit tous les justiciables. «Tout juriste digne de ce nom qui ne travaille pas pour l'Administration sait qu'elles violent les conventions de Genève», a souligné le major Michael Morri, l'avocat d'un détenu. Dans une note l'an dernier, le commandant de la Navy James Crisfield, juge militaire à Guantanamo, écrivait : «Les preuves considérées comme convaincantes par le tribunal sont constituées d'ouï-dire récoltés auprès d'individus non identifiés n'ayant aucune connaissance directe des événements qu'ils décrivent.» George W. Bush, qui recevait hier le premier ministre japonais, Junichiro Koizumi, pour sa dernière visite officielle à Washington, a réagi sur la défensive : «Nous allons étudier sérieusement les détails de la décision et nous nous y conformerons», a-t-il promis. Il n'a pas exclu de «travailler avec le Congrès» pour bâtir une nouvelle juridiction militaire légalement acceptable. Interrogé sur une éventuelle fermeture de Guantanamo, il a souligné que «cette décision ne va pas jeter dans la rue des criminels» et qu'il «n'entend pas mettre en péril la sécurité des Américains.» Le 10 juin, il avait spontanément déclaré : «Je voudrais vider Guantanamo», tout en rappelant qu'un certain nombre de «gros poissons» méritaient de rester derrière les barreaux. La défiance était encore plus nette hier au Pentagone, où un porte-parole a fait valoir «l'importance de Guantanamo comme centre de détention et de récolte d'informations», où l'on empêche «des individus dangereux (...) de retourner sur le champ de bataille.» Au Capitole, le sénateur républicain John Warner, président de la commission de la Défense, a estimé que la décision de la Cour allait imposer «d'examiner de nouveaux moyens de juger» certains terroristes présumés et probablement «d'accélérer le retour» des autres dans leur pays. Cercle vicieux Conscients que Guantanamo est devenu un boulet non seulement pour leur image internationale mais aussi pour leur diplomatie, les responsables américains cherchent des issues. Le rapatriement de la majorité des détenus, qui ne sont pas identifiés comme menaçants la sécurité nationale, se heurte paradoxalement au manque de garanties sur le respect des droits de l'homme exigé de nations comme la Syrie, le Yémen ou l'Arabie saoudite. «L'Administration est prise dans un cercle vicieux qu'elle a elle-même créé», observe un diplomate. L'alternative consistant à juger les détenus devant des tribunaux civils n'est guère plus tentante, surtout après le procès d'assises dans lequel le Français Zacarias Moussaoui a échappé à la peine de mort. Les organisations des droits de l'homme ont salué hier «une victoire de l'État de droit.» Face aux appels à fermer Guantanamo, de plus en plus nombreux dans le pays, George Bush «attendait» la décision de la Cour suprême. Le voici au pied du mur.