Censure La censure partielle du Conseil constitutionnel affaiblit François Fillonil ne manquait plus que cela à un gouvernement contesté, pris dans une campagne référendaire difficile et dans les querelles de la droite. L'accouchement de la loi Fillon sur l'école, déjà douloureux, s'est mal terminé. Contestée par les syndicats d'enseignants, rejetée par une partie des lycéens, critiquée par la plupart des experts, la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école a été amputée, par la décision du Conseil constitutionnel du vendredi 22 avril, d'une partie symbolique importante.Occupations : neuf mises en examenNeuf personnes, dont sept mineurs, qui ont participé à l'occupation, mercredi 20 avril, d'une annexe du ministère de l'éducation nationale à Paris, ont été mises en examen vendredi 22. Ces personnes interpellées mercredi ont été déférées vendredi à l'issue de leur garde à vue et mises en examen pour "violences sur agents de la force publique" et "dégradations de biens publics en réunion" dans le cadre d'une information judiciaire ouverte le même jour. Ils ont été remis en liberté et placés sous contrôle judiciaire, conformément aux réquisitions du parquet.Le parquet a décidé de confier les investigations à un juge d'instruction car plusieurs personnes ayant participé aux faits restent à identifier. 164 jeunes gens avaient été interpellés. Parmi eux, 158 avaient été placés en garde à vue. Selon la préfecture de police, les jeunes gens avaient investi l'annexe du ministère et s'y étaient barricadés. Ils avaient ensuite jeté sur les forces de l'ordre, depuis les étages, des objets trouvés dans les bureaux. Des extincteurs avaient également été vidés puis jetés dans la direction des forces de l'ordre. (AFP.)[-] fermerDeux années de débatsLe Conseil a notamment censuré l'article servant de fondement au rapport annexé à la loi qui précisait les objectifs et les moyens du gouvernement en matière d'éducation. Le reste du texte, hormis un article accessoire, a été validé par le Conseil constitutionnel et doit être progressivement appliqué.Le paradoxe de cette décision, motivée par des raisons de forme et non de fond, est qu'elle n'a, en théorie, pas de conséquence pratique. Bien que très longuement discuté par les parlementaires, le rapport annexé n'avait pas de valeur normative. Pour entrer en application, il devait être traduit en termes réglementaires sous la forme de décrets, d'arrêtés, voire de simples circulaires.François Fillon n'a pas souhaité commenter la décision. "C'est un revirement de jurisprudence, a-t-il cependant déclaré. J'estime qu'il est maintenant impossible de faire des lois d'orientation (...). Je le regrette car je considère important que des orientations puissent être débattues par le Parlement."Les réformes prévues dans le rapport annexé en matière de formation des enseignants, de soutien scolaire, ou de développement des langues vivantes, devraient maintenant être mises en oeuvre sous forme réglementaire dans les prochaines semaines.CRÉDIBILITÉ ÉMOUSSÉEM. Fillon se trouve cependant dans une situation très délicate pour négocier le contenu de ces nouveaux textes avec les syndicats. La valeur du rapport annexé était politique. Le ministre de l'éducation nationale y présentait le contenu de ses actions pour les prochaines années.Il avait obtenu du Parlement, avec le soutien appuyé du président de l'UMP, Nicolas Sarkozy, qu'il en adopte les grandes lignes. Nombre de députés de la majorité jugeaient en effet que le moment celui où se décident la carte scolaire et les attributions de postes d'enseignant était très mal choisi pour discuter d'un texte sur l'éducation.Jacques Chirac lui-même s'était fendu d'un rappel à l'ordre en conseil des ministres, exhortant les collègues de M. Fillon, très critiques à son égard, à un peu plus de solidarité gouvernementale (Le Monde du 11 février).La décision du Conseil constitutionnel affaiblit encore M. Fillon et réduit sa légitimité politique. Là où il aurait pu se prévaloir, face aux syndicats d'enseignants et de lycéens, d'une validation législative, il ne disposera plus que de sa crédibilité personnelle, émoussée après des mois de conflits avec les lycéens.Les syndicats chercheront d'autant plus à peser sur la trentaine de textes qui doivent être soumis à la concertation d'ici juin. "Sur quelles bases va-t-il poser ses décrets ? Il ne pourra plus arguer de la force de loi", a immédiatement souligné Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU, la principale fédération syndicale d'enseignants. "Il faut qu'il reparte de zéro et négocie véritablement, plutôt que de poursuivre envers et contre tout et de s'obstiner à faire passer quelque chose dont personne ne veut", a ajouté le syndicaliste.La gauche a bondi sur l'occasion : "Dès aujourd'hui, c'est un combat politique et syndical contre les futurs décrets Fillon qu'il convient d'engager", a déclaré le député (PS) de la Nièvre Christian Paul.LES STIGMATES DE L'USURELes organisations syndicales promettent aussi de donner du fil à retordre au ministre, car les rares aspects du texte qu'elles jugeaient positifs disparaissent avec la censure du Conseil constitutionnel. Au niveau des grands objectifs du système éducatif d'abord : le rapport annexé assignait à l'éducation nationale la mission de conduire 50 % de chaque génération à un diplôme de l'enseignement supérieur, objectif qui s'ajoutait aux 80 % de jeunes au niveau du baccalauréat et aux 100 % d'élèves diplômés ou qualifiés, déjà prévus dans la précédente loi d'orientation de juillet 1989.Sur le plan budgétaire ensuite : les promesses formulées dans le rapport annexé disparaissent. M. Fillon prévoyait ainsi le recrutement de 300 infirmières par an, l'octroi de 230 millions d'euros annuels pour le soutien scolaire et l'augmentation des bourses au mérite.Qu'adviendra-t-il de ces engagements ? Leur inscription dans la loi, même symbolique, devait rassurer des syndicats, pour qui la question des moyens reste une revendication centrale. Elle devait aussi donner à M. Fillon les armes politiques au sein de la majorité pour peser face aux demandes d'économies du ministère du budget. Il ne les a plus.Critiquant une loi "sans moyens", le Parti socialiste, par la voix de son président de groupe à l'Assemblée nationale, Jean-Marc Ayrault, en a profité pour demander un collectif budgétaire, permettant d'accroître le budget de l'éducation nationale.Au moment où il ne fait plus de doute qu'un important remaniement suivra le référendum du 29 mai, le ministre de l'éducation n'est pas le seul à porter les stigmates de l'usure. M. Chirac avait fait de l'éducation l'une des priorités essentielles de son quinquennat. Il l'avait longuement évoquée, le 14 octobre 2003, à Troyes, dans le discours "fondateur" de son mandat sur la cohésion nationale. Une fois de plus, il se trouve confronté à l'échec dans ce domaine. Et ce, au moment même où sa campagne pour le référendum n'est pas encore parvenue à endiguer la montée continue du non.
