Élection La Bolivie a élu son premier président indien Amérique du sud Evo Morales, indien aymara, a remporté avec plus de 51% des voix l'élection présidentielle colombienne. PENDANT une seconde, la voix du gaillard a tremblé. Il avait beau y croire, Evo Morales, élu dimanche soir président, n'a pu réprimer son émotion en annonçant que commençait ce soir «la nouvelle histoire de la Bolivie». Les sondages lui donnaient au mieux 34% des suffrages, il en a remporté plus de 51%, devançant largement son adversaire, le conservateur Jorge Quiroga (31%). Un score qui aurait pu être beaucoup plus élevé si des milliers de Boliviens n'avaient pas été empêchés par des tracasseries administratives. Au premier étage du siège de campagne du MAS (le Mouvement vers le socialisme, le parti qu'il a fondé il y a dix ans), les militants peinent à réaliser l'ampleur de la victoire. Morales, un Aymara, une des deux principales ethnies du pays, est non seulement le premier Indien à gagner le mandat suprême en Bolivie, mais aussi le premier président à triompher au premier tour. Le MAS a aussi emporté 78 sièges au Congrès (65 députés sur 130 et 13 sénateurs sur 27 sièges), balayant les partis traditionnels. -- PUBLICITE -- Personne n'y croit encore, mais la solennité a déjà empreint les visages. Ce soir, tous voient se dérouler l'histoire d'un pays meurtri par les coups d'Etat, la marginalisation de la majorité indigène, la répression à l'égard des mouvements populaires et, toujours, la misère. «Avec notre gouvernement, nous allons en finir avec la discrimination, la xénophobie, la haine et le mépris», promet Evo Morales. Vaste programme, dans un pays où les Indiens n'ont le droit de vote que depuis 1952 et où, selon les chiffres officiels, ils gagnent aujourd'hui un salaire de 70% inférieur à celui d'un métis. La tâche est énorme, et les espérances sont démesurées. «Nous voulons du travail, des salaires moins misérables et un accès aux services de base, l'eau, la santé, l'éducation», explique Abel Mamani, président de la Fejuve, principal mouvement social d'El Alto, la banlieue pauvre de La Paz. «Nous ne voulons pas fixer d'échéance, nous sommes conscients que le pays ne peut pas changer du jour au lendemain, mais nous voulons des signaux, et vite», prévient-il. «J'ai besoin de lui pour accomplir mes rêves» Ces signaux, c'est le nouveau vice-président, le sociologue Alvaro Garcia Linera, qui est chargé de les organiser. A 43 ans, cet intellectuel respecté, théoricien du réveil identitaire indigène comme moteur des mouvements sociaux, a surpris son entourage en acceptant de seconder Evo Morales dans la campagne. Le nouveau président est un corpulent Aymara, à l'intelligence instinctive, imprévisible et méfiant, venu à la politique via le syndicalisme. Alvaro Garcia est blanc, frêle, et confesse un caractère de moine. Il a fait ses études à Mexico avant de s'enrôler dans une guérilla d'un autre temps : l'Armée Tupac Katari. Il a écopé de cinq ans de prison, durant lesquels il raconte «avoir lu 960 livres et appris à danser avec le temps». Dimanche soir, la lueur folle qui dansait dans ses yeux assurait que cette fois son temps était venu. «Evo a besoin de moi pour gouverner, j'ai besoin de lui pour accomplir mes rêves», résume-t-il. «Le risque de cette équipe, c'est qu'elle ne puisse pas gouverner», s'inquiète José Mirtenbaum, de l'université Gabriel René Moreno, à Santa Cruz. Avec 78 représentants au Congrès, le MAS est la première formation, mais, en l'absence de majorité, il devra négocier pour faire voter ses lois. «Le MAS n'est pas un parti, c'est un patchwork de groupes différents, des indigénistes, des représentants de la classe ouvrière et des théoriciens marxistes, réunis autours de la revendication de changement», pointe Jimena Costa, politologue à l'université de San Andrés, à La Paz. «Conséquence : Evo ne tiendra pas ses troupes au Congrès», ajoute-t-elle. Or le gouvernement est contraint de passer par les députés pour mettre en place sa politique : nationalisation des hydrocarbures, réforme agraire, introduction des langues indigènes dans les actes publics ou protection de la microentreprise. Il devra aussi faire face à l'opposition des préfets des régions orientales du pays, les plus riches, qui bénéficient déjà d'une certaine autonomie financière. Ouverts à toutes les collaborations Mais c'est surtout l'absence de cadres qui inquiète. Quel ministre des Affaires étrangères pour faire entendre aux Etats-Unis que, pour la première fois, leur ambassade n'aura pas droit de regard sur les nominations au gouvernement ? Quel ministre des Hydrocarbures pour faire accepter au Brésil et à l'Argentine une forte augmentation des prix du gaz qui leur est destiné ? Qui, aux Finances, reprendra le dossier de la dette, la plus importante de l'histoire de la Bolivie ? «Il faut reconnaître que 99,99% d'entre nous n'ont pas la moindre expérience de la vie publique», précise Carlos Villegas, le conseiller d'Evo Morales pour les questions économiques. Or le nouveau pouvoir bolivien semble refuser pour l'instant de suivre le modèle du Venezuela, qui a compensé cette lacune en faisant appel à des Cubains pour organiser ses programmes médicaux et universitaires. «Nous sommes ouverts à toutes les collaborations, avec la France, l'Espagne, Cuba, le Brésil», déclare Alvaro Garcia Linera. Un silence, et le nouveau vice-président de poursuivre : «Mais nous ne nous jetterons dans les bras d'aucun Commandant.»