Annonce JUSTICE Lucien Léger, 68 ans, incarcéré depuis 41 ans pour le meurtre d'un enfant Le plus ancien détenu français demande grâce à la Cour européenne La Cour européenne des droits de l'homme examine aujourd'hui la requête du plus ancien détenu français, Lucien Léger, 68 ans, condamné à la réclusion à perpétuité pour le meurtre du petit Luc Taron, 11 ans, et incarcéré depuis près de quarante et un ans. Libérable sous condition depuis 1979, «l'Etrangleur», comme il s'était lui-même baptisé, clame son innocence et multiplie les demandes de remise en liberté depuis plus d'un quart de siècle. A la télévision, les images sont en noir et blanc. Le visage de l'homme qui, à Versailles, vient de sauver sa tête devant les assises – la peine capitale ne sera abolie que quinze ans plus tard –, est connu de la France entière : Lucien Léger, infirmier psychiatrique de Villejuif, a surgi deux ans plus tôt, en 1964, à la une des journaux lorsqu'il a été arrêté pour le meurtre de Luc Taron, 11 ans. Il a avoué, puis s'est rétracté. En ce 7 mai 1966, il vient d'être condamné à la perpétuité par les jurés de la Seine-et-Oise. Il a alors 29 ans, dans une France où Georges Pompidou n'est encore que le premier ministre du général de Gaulle. Le condamné est incarcéré depuis deux ans déjà – en «préventive», comme on dit alors. Mais cette fois, les portes de la prison se referment définitivement. L'histoire a horrifié la France. L'enfant a été enlevé le 27 mai 1964 à Paris, au métro Villiers. Assez vite, un ravisseur réclame une rançon de 500 000 francs, somme considérable pour l'époque. Les enquêteurs sont sceptiques : les Taron ne sont pas fortunés, contrairement aux parents du petit Eric Peugeot, enlevé trois ans plus tôt. Un déséquilibré ? Probablement. Car l'inconnu multiplie bientôt les messages, s'adressant aux policiers par le biais des journaux. Il signe : «l'Etrangleur». Il se manifestera ainsi à cinquante-huit reprises, avant et après la découverte du corps. La dépouille de l'enfant supplicié est retrouvée dans les bois de Verrières-le-Buisson (Essonne). Mort par étranglement, constatent les légistes. Les messages continuent, assortis de précisions : «Je lui ai appliqué mes mains sur le cou (...) Il a mis au moins dix minutes pour mourir en râlant. Je mérite le nom de l'Étrangleur.» Un fou. Les enquêteurs n'en doutent plus lorsqu'ils lisent encore : «Je suis la graine qui pousse au printemps des monstres. Je suis un vengeur de la société...» Le «vengeur de la société» sera en l'occurrence l'inattendue victime d'un vol de voiture. La 2 CV de Léger a disparu et il a déposé plainte, le 27 juin 1964, au commissariat des Invalides. Le véhicule a été retrouvé à Viry-Chatillon, le 1er juillet, et un examen de routine a permis d'y relever des indices troublants. L'infirmier de Villejuif a donc été convoqué, entendu, placé en garde à vue... Il a tout avoué. Au procès, deux ans plus tard, il renie tout. Invité à s'exprimer après l'énoncé du verdict, le 7 mai 1966, il se redresse et lance : «Vous venez de commettre une erreur judiciaire.» Il livre le nom du «véritable coupable», tiré d'on ne sait où et resté à jamais mystérieux. Et il entame la deuxième partie de sa vie, de prison en prison – quinze en quarante ans –, jusqu'au centre de Bapaume (Pas-de-Calais) où il attend aujourd'hui le résultat de son ultime requête. Il a vainement demandé la révision de son procès en 1971 et 1974. Il a également sollicité la grâce présidentielle : en 1981, 1992 et 1998. Il a encore réclamé une libération conditionnelle – il peut y prétendre depuis 1979, ayant purgé l'indispensable «délai d'épreuve» de quinze ans. Tous les gardes des Sceaux interpellés sur son cas ont justifié leur décision de rejet au nom de la sécurité du condamné : le père du petit garçon, Yves Taron, a juré de le tuer à sa sortie. «L'Etrangleur» est donc resté enfermé. De manière «scandaleuse» selon un comité de soutien où les anarchistes sont particulièrement représentés : «Il était le coupable idéal, et la justice en voulait un», plaident-ils en substance, sans trop s'attarder sur le dossier. Lucien Léger a-t-il «payé sa dette» ? Son cas, à l'évidence, serait plus simple s'il avait admis le meurtre : il n'y a en l'occurrence ni aveux ni remords. Comment pourrait-il y avoir pardon ? La Cour européenne des droits de l'homme dira si elle estime «arbitraire» le maintien en détention et si elle le considère comme un «traitement inhumain et dégradant», en violation de l'article 3 de la Convention. «L'Etrangleur», en tout cas, n'aurait aujourd'hui plus à craindre la vengeance d'Yves Taron. Le vieil homme, fou de douleur, rendu ivre de haine par sa croisade pour le rétablissement de la peine de mort, s'est éteint en 2001.