Annonce JUSTICE Le parquet de Nanterre a ouvert une enquête préliminaire sur les tours du plus grand quartier d'affaires d'Europe La Défense : des milliers de mètres carrés bâtis en fraude Une enquête préliminaire a été discrètement ouverte par le procureur de la République de Nanterre, portant sur les tours du quartier de la Défense, situé dans les Hauts-de-Seine. Les premières investigations ont révélé que les surfaces réelles de plusieurs d'entre elles ne correspondaient pas à celles inscrites sur les permis de construire délivrés en 1996 et 1997. Pour l'heure, les services de la Direction départementale de l'équipement (DDE) évaluent le dépassement illégal à environ 40 000 mètres carrés. Si plusieurs des gratte-ciel visés par l'enquête appartiennent – ou appartenaient – à la société Vivendi, les gendarmes s'intéressent particulièrement au rôle du promoteur Christian Pellerin, l'homme qui a fait la Défense. Certains bâtiments sont même sa propriété directe. Les enquêteurs ont engagé une vérification de l'ensemble des tours du premier quartier d'affaires d'Europe, afin de vérifier la légalité des constructions de chacune. Les investigations devraient donc déterminer l'ampleur de la fraude, ses véritables responsables ainsi que les retombées financières qu'elle a provoquées. Vivendi a déjà déboursé 15 millions d'euros pour régulariser le permis de construire de trois tours. Au terme de l'enquête préliminaire, Bernard Pages, le procureur de la République de Nanterre, décidera s'il y a lieu d'ouvrir une information judiciaire. Des dizaines de mètres carrés ont été construits frauduleusement dans le quartier de la Défense. Tel est le premier constat établi par les gendarmes de la section de recherches de Versailles. L'affaire remonte à 2003. Trois tours, dénommées Egée, Cèdre et Colisée, édifiées sur la commune de Courbevoie, sont mises en vente par Vivendi. Des acquéreurs potentiels et pointilleux, les fonds de pension allemands Kam Am et West Invest, mandatent des géomètres pour en vérifier les superficies. Ceux-ci découvrent alors une différence entre leurs mesures et les superficies déclarées sur les permis de construire. Peu après, la Direction départementale de l'équipement est saisie. Le 4 mai 2004, le directeur Jean Guillot rédige un «certificat administratif» de deux pages résumant les vérifications effectuées par ses services. Le lendemain, le préfet des Hauts-de-Seine, Michel Delpuech, écrit que «7 993 mètres carrés de surface de bureau ont été réalisés dans la ZAC Danton sans avoir été autorisés par permis de construire». Soit un peu moins de 10% de la surface globale des trois bâtiments. La ZAC Danton est chargée d'une partie de l'aménagement de la Défense. Au sein de la société d'économie mixte qui la gère, la ville de Courbevoie est majoritaire. Quant aux permis de construire des trois tours, ils ont été délivrés les 20 juin 1996, 18 juillet 1996 et 22 octobre 1997. La construction a été menée par la Sari, sous la houlette de Christian Pellerin, alors conseiller du groupe Vivendi. Avant de prendre une tournure judiciaire, ce volet de l'histoire est d'abord financier : pour vendre ses tours, Vivendi doit les mettre en conformité. Concrètement, le groupe est contraint de racheter 8 000 m2 de «droits à construire» manquants. Le 7 juin 2004, un protocole d'accord est signé avec le promoteur voisin Avenir Danton Défense. Coût de l'opération pour Vivendi : 15 millions d'euros auxquels s'ajoutera le montant du redressement fiscal en cours. Ce règlement «amiable» n'empêche cependant pas la saisine du parquet de Nanterre. Les gendarmes vont rapidement découvrir de nouvelles infractions dans d'autres tours. Elles touchent les permis de construire obtenus par plusieurs SCI : Le Vinci, Service Faubourg et Faubourg du Parc, trois sociétés dirigées par Christian Pellerin. Une partie de l'enquête de la DDE a déjà été transmise aux enquêteurs et pointe de nombreuses «violations des règles d'urbanisme» : dépassements de mètres carrés et autres. Il y a quelques jours, le maire de Courbevoie, l'UMP Jacques Kossowski, écrivait même au sujet de l'opération Vinci que «des constats ont été établis par les services de la commune (...) et transmis au parquet de Nanterre». Un autre dossier menace. Il concerne un immeuble dénommé Le Balzac, situé dans la ZAC Gambetta à la Défense. Initialement propriété de Vivendi, cet édifice appartient aujourd'hui à une SCI filiale de Corio, une société cotée à la Bourse d'Amsterdam. Dans une note interne à Vivendi que Le Figaro s'est procurée, il est indiqué que cet immeuble a fait l'objet d'une vérification : «La surface totale autorisée par le permis de construire est de 40 033 mètres carrés alors que la surface réelle serait de 52 389.» Soit un dépassement de 12 356 mètres carrés. Premier acquéreur du terrain, Vivendi indique avoir engagé des procédures de régularisation et notamment un nouveau permis de construire. «L'obtention de ce permis et du certificat de conformité permettrait d'éviter une action», précise la note qui ajoute que «le remplacement du jour au lendemain du directeur général de Corio France est une des conséquences de cette situation». Les enquêteurs vont désormais devoir établir les véritables responsabilités dans cette cascade de dépassements et d'irrégularités au Code de l'urbanisme. Christian Pellerin devrait prochainement avoir à fournir des explications à la justice au même titre que l'ensemble de la chaîne administrative qui a attribué des permis de construire. Reste à mesurer les enjeux que représentent les excès de mètres de carrés. «Financièrement, c'est considérable, souligne un proche du dossier. Dans un premier temps, le promoteur fait une économie à l'achat des droits à construire, puis un bénéfice lors de la location d'un espace plus important. S'ajoute une réduction des taxes foncières. A chaque fois, c'est de l'argent public qui est détourné.» Sollicité par Le Figaro, un des avocats de Christian Pellerin n'a pas souhaité s'exprimer sur une affaire en cours. Me Olivier Baratelli, conseil de Vivendi, nous a pour sa part déclaré : «Si des infractions ont été commises, nous ne manquerons pas de collaborer avec la justice et de nous constituer partie civile.»