Scandale Jorge Hank, maire de Tijuana à la frontière de la légalitéElu début août, l'édile mexicain est soupçonné d'être impliqué dans le meurtre de deux journalistes qui enquêtaient sur lui, et de liens avec les cartels de la drogue. errière son visage froid et inexpressif, Jorge Hank Rohn est un personnage excentrique qui règne sur un drôle d'empire : dix-huit enfants, un zoo privé peuplé de nombreux animaux exotiques, cent vingt-sept élevages de chiens, neuf boutiques de mascottes, cinq cliniques vétérinaires et trois piscines réservées aux spectacles de dauphins. Ce richissime homme d'affaires aurait presque quelque chose de sympathique si, depuis le 1er août, il ne régnait également sur Tijuana, une ville de deux millions d'âmes. Le nouveau maire est en effet soupçonné d'être impliqué dans le meurtre de deux journalistes, de liens avec les cartels de la drogue et de blanchiment d'argent.«Jorge Hank Rohn possède la moitié de la ville», commente Carlos, un militant local du parti Action nationale, qui vient de perdre la mairie. «Il ne lui aura pas été difficile de s'imposer bien sûr en achetant des votes, en plaçant ses hommes de main devant chaque bureau de vote, en promettant la lune à tous les habitants ou en payant de sa poche des travaux d'assainissement des quartiers pauvres.»Avant son entrée en politique, Jorge Hank Rohn, aujourd'hui âgé de 50 ans, était un sombre inconnu vivant dans l'ombre de son père, l'un des grands argentiers du PRI (Parti révolutionnaire institutionnel), le parti qui dirigea le Mexique d'une main de fer de 1929 à l'an 2000. A la mort de ce dernier, Jorge Hank se retrouve à la tête d'une fortune de 500 millions de dollars, d'un hippodrome et du principal réseau de jeux et de paris du pays.Blanchiment d'argent. Sur son casier judiciaire n'apparaissent que des délits mineurs : trafic de pierres précieuses, d'ivoire, d'un tigre blanc, d'orangs-outans et de gorilles. Mais Jorge Hank est soupçonné d'être l'un des mafieux les plus éminents du pays. En 1999, le quotidien américain The Washington Post révèle l'existence d'un dossier de la DEA (agence américaine de lutte contre la drogue) désignant Hank comme allié des narcotraficants et spécialiste du blanchiment d'argent. A Tijuana, ville-frontière célèbre pour ses casinos, ses bordels et ses exécutions menées en pleine rue à coups de kalachnikov AK 47, les liens de Hank avec la célèbre famille Arellano Felix, l'une des plus puissantes dynasties de narcos mexicains, est un secret de pacotille.Hank ne serait qu'un patron véreux parmi tant d'autres au sein d'un pays qui contrôle 70 % de l'exportation de cocaïne vers l'Amérique, ils sont nombreux , si son nom n'était irrémédiablement entaché du sang de deux journalistes vedettes de la région. En 1988, les deux gardes du corps de Jorge Hank abattent l'un des meilleurs reporters d'investigation du nord du pays, Felix Miranda. A l'époque, Antonio Vera Palestina, connu pour être le grand «pote» de Hank, et Victoriano Medina sont reconnus coupables du meurtre de Miranda et écopent de vingt-cinq et vingt-sept ans de prison. Jorge Hank, un moment inquiété, s'en tire sans une égratignure grâce à l'intervention de son influent papa auprès du tout-puissant PRI.En juin de cette année, deux mois avant d'être élu maire, rebelote : Jorge Hank est à nouveau soupçonné d'être impliqué dans un meurtre, celui de Francisco Javier Ortiz Franco, un autre journaliste de l'hebdomadaire Zeta, où travaillait Felix Miranda. En vacances, Francisco Javier Ortiz, qui avait oublié ses gardes du corps pour quelques jours, reçoit deux balles dans la poitrine et deux balles dans la tête alors qu'il se promène en compagnie de ses enfants. Désigné par la Société interaméricaine de presse pour enquêter sur l'affaire Miranda, Ortiz avait confié, quelque temps avant sa mort, détenir les preuves permettant une réouverture du dossier et une condamnation de Jorge Hank Rohn. Pour Jesus Blancornelas, le directeur du magazine Zeta, aucun doute ne plane : Jorge Hank est le commanditaire de l'assassinat de Felix Miranda et probablement celui de Francisco Ortiz Franco.Les autorités mexicaines ont officiellement désigné Hank comme l'un des principaux suspects du dossier Ortiz. Pourtant, deux mois après le crime, le futur maire n'a toujours pas été interrogé par la justice. Il ne semble d'ailleurs pas le moins préoccupé du monde : «Je suis totalement et absolument tranquille... Je serai le meilleur maire qu'ait jamais connu Tijuana», déclare-il très sérieusement. Selon un haut fonctionnaire connaissant bien le dossier, Jorge Hank a d'ailleurs toutes les raisons de dormir sur ses deux oreilles : «L'affaire est suivie par la justice locale, peu fiable, car le gouvernement fédéral ne veut pas se mouiller. Je crois que, malheureusement, l'homme ne sera jamais poursuivi.»Derrière l'inquiétante impunité dont bénéficie aujourd'hui Jorge Hank Rohn se profile l'empire de Roberto Madrazo, le président du PRI, un parti passé dans l'opposition depuis la victoire du président Vicente Fox en 2000, mais dont le pouvoir de nuisance est presque intact. «Fox a peur et a besoin du PRI car il n'a pas de majorité parlementaire. C'est peut-être ce qui explique une telle impunité, mais aussi le silence intolérable du ministre de l'Intérieur, qui a attendu quatre jours avant de dénoncer l'assassinat du journaliste», ajoute, écoeuré, le haut fonctionnaire.«Dinosaures». Cette semaine, à la une de l'influent hebdomadaire mexicain Proceso, une photographie de Roberto Madrazo et de Jorge Hank Rohn, main dans la main, porte, pour simple titre : «La mafia se renforce.» Pour de nombreux analystes, les récentes victoires de Hank à Tijuana, comme celle d'Ulises Ruiz dans la ville d'Oaxacan où cinquante mille votes auraient été trafiqués, sont d'inestimables pierres sur le chemin de Madrazo vers la conquête du fauteuil présidentiel. «C'est le retour des dinosaures», commente l'analyste Andres Oppenheimer. «C'est le triomphe de la fraude électorale, de la corruption, de l'aile la plus autoritaire du parti», ajoute l'ancien ministre Jorge Castañeda. Roberto Madrazo, qui traîne, au Mexique, une réputation de bandido, attendait ses premières victoires pour s'imposer au sein du PRI. Voilà qui est fait. Seconde étape, facilitée par les scandales minant la gauche et la fragilité du gouvernement de Vicente Fox : la présidence de la République, en 2006.
