Mort de Jean Grosjean
Mort Jean Grosjean, poèteLe poète Jean Grosjean est mort lundi 10 avril à l'hôpital de Versailles. Il était âgé de 93 ans.Familier plus que "spécialiste" de la Bible, figure éminente mais peu visible des éditions Gallimard, écrivain aussi remarquable que discret et parfaitement atypique, Jean Grosjean était le contraire d'un homme d'appareil. Aux sociétés d'écrivains, de poètes ou d'éditeurs, il préférait le libre commerce des personnes, aux Eglises et aux institutions, le regard oblique, ironique parfois, sur le monde. Front haut lancé vers l'arrière, regard clair et comme amusé, il parlait avec douceur, sur le mode de l'interrogation plus que de l'affirmation. La sagesse qu'il avait acquise, notamment grâce à la fréquentation des textes sacrés, n'était jamais ostentatoire ou péremptoire. Agé, il semblait toujours en études, avec la faculté intacte de s'émerveiller. Sa foi ne le portait pas à se perdre dans la transcendance ou à s'attacher trop étroitement aux dogmes, mais à approfondir les dimensions proprement humaines de la Révélation chrétienne.Né à Paris le 21 décembre 1912, Jean Grosjean travaille d'abord comme ouvrier avant de reprendre ses études secondaires, de s'initier au latin et au grec et d'entrer au séminaire d'Issy-les-Moulineaux en 1933. Dès la fin des années 1920, il fait la découverte de la Bible qui demeura pour lui la source première et inépuisable de son inspiration. En 1936-1937, après son service militaire au Liban, il voyage dans les pays du Proche-Orient - Syrie, Palestine, Egypte, Irak. Il est ordonné prêtre en 1939, puis mobilisé. Prisonnier, il rencontre André Malraux au camp de Sens, puis Claude Gallimard - appelé à succéder à son père, Gaston, à la tête de la maison d'édition - lors de sa captivité en Poméranie. Une fidélité sans faille le liera à ces deux compagnons.C'est d'ailleurs Malraux qui fera publier, en 1946 chez Gallimard, dans la collection de Jean Paulhan, "Métamorphoses", le premier livre de Grosjean, une suite de notes poétiques, Terre du temps, qui reçoit le prix de la Pléiade. Dès lors, Gallimard restera sa maison, tant comme auteur que comme membre du comité de lecture (au côté de son ami Louis-René des Forêts) et éditeur - notamment à la NRF, auprès de Marcel Arland et de Dominique Aury, à partir de 1967. En 1950, ayant quitté son ministère de prêtre, il se marie et achète une ancienne ferme à Avant-lès-Marcilly, dans la Champagne pouilleuse, où il résidera le plus souvent possible. Les années 1950 et 1960 sont celles d'une intense activité poétique (Hypostases, 1950 ; Fils de l'homme, 1954 ; Elégies, 1967 ; La Gloire, 1969...) et de traductions - Eschyle et Sophocle, 1967 ; Le Nouveau Testament, 1971, tous les deux dans la "Pléiade"."DENSITÉ UN PEU AVEUGLE"Dans les années suivantes, en même temps qu'il poursuit son travail de traduction et de glose de la Bible (La Genèse, 1987 ; L'Ironie christique, libre et admirable commentaire de l'Evangile selon saint Jean, 1991...) et qu'il donne même sa version du Coran (éditions Philippe Lebaud, 1979), Jean Grosjean publie, toujours chez Gallimard, d'étonnants et brefs récits en prose autour de figures de prophètes ou de protagonistes de l'Ancien et du Nouveau Testament. Mais c'est un autre personnage, le théoricien allemand de la guerre Clausewitz (1972), qui inaugure cette série. Citons Le Messie (1974), Elie (1982), Pilate (1983), Jonas (1985), La Reine de Saba (1987), Samson (1989), Adam et Eve (1997)... Un Kleist (1985) confirme l'intérêt de l'écrivain pour la culture prussienne. Une grande beauté, une intensité surprenante distinguent ces textes, à la fois denses et aériens, sans exemple dans la littérature contemporaine. "Le moment poétique, soulignait Jean Grosjean dans un livre d'entretiens, parfaite introduction à son univers (Araméennes, Cerf, 1988), peu importe qu'il soit ou non reconnu comme tel, c'est le moment où le langage atteint une densité un peu aveugle..."Dernière étape, en 1990, lorsqu'il crée, avec J.-M.G. Le Clézio, encore chez Gallimard, la collection "L'Aube des peuples", où sont publiés les grands textes fondateurs des civilisations. L'année suivante, Jean Grosjean renoue avec la poésie, en vers et en prose, qu'il avait abandonnée (sauf pour des publications en revues) depuis plus de vingt ans. La Lueur des jours, puis cinq autres recueils, jusqu'à La Rumeur des cortèges, paru à la fin de 2005 (tous chez Gallimard), manifestent une fraîcheur lestée de mélancolie, une simplicité et un goût sans afféterie pour l'humble réalité des jours. "Un livre, qu'on le lise ou qu'on l'écrive, doit être soluble dans la vie. On doit pouvoir à chaque page lever les yeux sur le monde ou se pencher sur un souvenir pour vérifier le texte", disait-il, n'attachant aucun prestige particulier au labeur littéraire : "C'est un peu dommage de faire croire qu'un écrivain est un homme d'une espèce supérieure..."