Mort de Jean Fournier

Mort Jean Fournier, galeriste et libraire d'art Le galeriste Jean Fournier est mort, mercredi 22 mars, à l'âge de 84 ans. Pendant des décennies, il a incarné une certaine idée de son métier, fondée sur la fidélité et le refus du spectacle. Né en 1922, Jean Fournier, qui exerce ce métier depuis 1946, ouvre une librairie au 24, avenue Kléber, à Paris, en 1952. En 1954, l'une de ses clientes, Colette de Jouvenel, fille de Colette, lui fait part des difficultés d'un peintre qui avait été surréaliste, Joseph Sima. Jean Fournier se rend dans l'atelier, écoute Sima, regarde, et lui propose une partie de sa librairie. L'exposition est un succès et la librairie devient librairie-galerie. Sima y est rejoint par de jeunes artistes alors proches du surréalisme - Jean Degottex, Simon Hantaï -, par des compagnons de Cobra et par des inclassables tel Louis Pons. C'est dire que, dès ses débuts, Jean Fournier fait cause commune avec les créateurs de sa génération, préfère l'aventure à la sécurité et ne se trompe pas dans ses choix. En 1956, André Breton l'aide en préfaçant une exposition de Marcelle Loubchansky. Il recommencera en 1957. Entretemps, trois artistes sont devenus des "piliers" de la galerie, Degottex, Hantaï et Mathieu. Ces deux derniers organisent avenue Kléber, en mars 1957, leurs Cérémonies commémoratives de la condamnation de Siger de Brabant qui provoquèrent une belle polémique avec surréalistes et lettristes - parmi lesquels Debord et Wolman. En 1964, premier déplacement : la galerie est au 22, rue du Bac. Degottex et Hantaï restent essentiels. Ils sont rejoints par deux grandes figures de l'expressionnisme abstrait, Joan Mitchell et Jean-Paul Riopelle, alors mariés ensemble, puis par d'autres Nord-Américains, Shirley Jaffe, Sam Francis, James Bishop. A partir de 1966, de nouveaux noms apparaissent, ceux d'artistes de vingt ans plus jeunes : Daniel Buren, Michel Parmentier, Pierre Buraglio, Claude Viallat. Sans hésiter, Fournier devient ainsi l'un des galeristes de l'avant-garde française, de BMPT et de Supports/Surfaces, moins par choix théorique que par affinité ressentie et par amour de la peinture. En 1971, une exposition-manifeste rassemble chez lui Dezeuze, Saytour, Valensi et Viallat. Un autre aurait alors spéculé sur leur jeunesse et abandonné ses peintres plus âgés. Jean Fournier a l'attitude inverse. Certain que la cohérence de ses choix ne peut que finir par apparaître en pleine lumière, il expose alternativement Mitchell, Hantaï, Bishop, Viallat et Buraglio. Marcelin Pleynet est souvent leur préfacier. Cette histoire, en 1984, Jean Fournier l'a résumée d'une formule : "Ma galerie, depuis trente ans, c'est la couleur toujours recommencée." Il disait aussi : "Une "ligne" ne s'élabore pas, elle s'impose d'elle-même" et "je ne suis pas plus l'inspirateur que le censeur de mes peintres (ce ne sont d'ailleurs pas "mes" peintres)". UN "GRAND MARCHAND" On devine d'après ces mots combien il est demeuré étranger au "boom" de l'art contemporain à la fin des années 1980. Installé à partir de 1979 dans un espace enfin vaste et clair au 44, rue Quincampoix, près du Centre Pompidou, il ne change rien à son attitude, ne sacrifie à aucune mode et fait confiance aux rares nouveaux venus qui réussissent à le convaincre, Bernard Piffaretti, Stéphane Bordarier, Antonio Semeraro : l'abstraction et la couleur, naturellement. En dépit des vicissitudes liées à la mort de Joan Mitchell et de l'âge, qui semblait n'avoir aucune prise sur lui, il est demeuré fidèle à lui-même au point de revenir en 1999 au 22, rue du Bac, comme pour que la boucle se referme sur elle-même. Il a eu le temps d'y montrer encore une fois tous ceux qu'il avait aimés et de rappeler de la sorte que la cohérence est une l'une des qualités qui font d'un galeriste ce que l'histoire appelle plus tard un "grand marchand". Jean Fournier était de cette aristocratie.