Retraite Jack Valenti, le "M. Cinéma" de l'Amérique Le directeur de la Motion Picture Association of America, qui regroupe les grands studios, passe la main. Il a défendu les intérêts du cinéma américain pendant 38 ans et inventé le système de classification des films.Après trente-huit années et demie à la tête de la Motion Picture Association of America (MPAA), le grand défenseur du cinéma américain Jack Valenti s'est retiré en juillet 2004, à l'âge de 82 ans. Mais il y restera encore cinq ans à titre de consultant, et il dirige toujours l'influent Ratings Board, ou bureau de classification des films américains, un système dont il est l'architecte. Lundi 6 décembre, il a eu droit à son étoile sur l'Hollywood Walk of Fame, et a inscrit ses empreintes aux côtés des stars, dans le béton du fameux trottoir de Los Angeles, en présence de l'acteur Kirk Douglas. Le lendemain, il reçoit Le Monde à l'Hôtel Peninsula de Beverly Hills. Cela juste avant un autre rendez-vous avec "un" studio, on ne saura pas lequel, pour discuter de l'adaptation cinématographique de son premier roman, Protect and Defend, une intrigue politique sise à Washington. Pour ce Texan éduqué à Harvard, qui fut un pilote de chasse abondamment décoré pendant la seconde guerre mondiale, retraite ne rime pas avec inactivité."Les studios ne voulaient pas que je parte, assure M. Valenti, mais tôt ou tard, à Hollywood, ils auraient commencé à murmurer : "Quand est-ce que le vieux va se tirer ?"" Alors il a suivi le conseil du président démocrate Lyndon B. Johnson, dont il fut le conseiller spécial de 1963 à 1966 : "L.B.J. disait toujours qu'il vaut mieux partir alors que la fête bat son plein..."Aujourd'hui, il reconnaît avec un large sourire que ses trois années à la Maison Blanche "ont représenté l'été de - sa - vie" : "Ma seule ambition alors était d'aider le président à améliorer la qualité de la vie dans notre pays, et à nous faire respecter par le reste du monde." Quand Lew Wasserman, le patron de MCA-Universal, lui offre le poste de représentant des studios, il décline, avant de se laisser convaincre.Son expérience à la Maison Blanche a fait de Jack Valenti un courtier particulièrement efficace entre Hollywood et Washington et un négociateur avisé sur la scène internationale. Pendant les quatre décennies de son règne à la MPAA, le chiffre d'affaires mondial du cinéma américain est passé de 1 milliard et demi à 42 milliards de dollars. Jack Valenti s'est trouvé au cœur des conflits commerciaux et culturels entre les majors américaines, dont il défend avec pugnacité les intérêts économiques, et l'Europe, particulièrement la France, qui protège avec autant d'âpreté son exception culturelle.Avant l'ouverture des négociations du GATT, le General Agreement on Tariffs and Trade, ancêtre de l'Organisation mondiale du commerce, il déclarait au Monde (le 11 mars 1993) : "Les Etats-Unis ne signeront pas une révision du GATT qui fasse de la culture un secteur d'exception." La riposte des Français à l'intransigeance américaine est très vive, de Jack Lang, ministre de l'éducation et de la culture, aux producteurs de cinéma. "J'ai été extrêmement troublé par l'hostilité qui s'est manifestée en 1993 et après", confie ce bagarreur qu'on aurait cru moins sensible à la critique !Depuis, il n'a pas raté une occasion de se faire le chantre de l'entente franco-américaine et du cinéma français. "En Amérique, tout le monde sait que j'ai tout fait pour promouvoir, nourrir et encourager le cinéma français." Il rappelle qu'à la demande d'Henri Langlois, le directeur de la Cinémathèque, c'est lui et Gene Kelly qui lui remettront son Oscar d'honneur en 1974. "Je crois à la diversité culturelle, je ne m'oppose pas aux subventions, insiste-t-il. Aujourd'hui je soutiens même la directive Télévision sans frontière, mais je prie pour qu'elle ne soit pas renforcée. Je suis pour le statu quo actuel." Pointant la rosette au revers de son veston, il assène la preuve de sa francophilie : de chevalier, il a été promu directement commandeur dans l'ordre de la Légion d'honneur le 6 septembre 2004. La décoration a été remise par le ministre français de la culture, Renaud Donnedieu de Vabres, qui a salué son "leadership".L'AFFAIRE DES SCREENERSJack Valenti a laissé une empreinte durable avec la classification "volontaire" des films, qu'il a mise en place dès 1968 pour éviter l'intervention gouvernementale. Ce système destiné aux parents est aujourd'hui critiqué, particulièrement par les réalisateurs. Mais impossible de faire avouer à l'inventeur le moindre défaut... La procédure du Ratings Board est très secrète, mais "comme le sont les délibérations d'un jury !", indique-t-il pour défendre le travail de ces treize hommes et femmes qui parfois attribuent le "R" (pour restricted) tant redouté aux films comportant violence et/ou obscénités et/ou sexualité. Ces raters, censés refléter la diversité ethnique et religieuse du public, sont tous des pères ou mères de famille. Le bureau d'appel, constitué de représentants des studios et des exploitants en salles, a examiné 250 appels en trente-six ans, confirmant l'indexation dans 66 % des cas. "On ne change pas un système qui marche", soutient Valenti, précisant que le dernier sondage annuel sur le Ratings Board affiche un taux de satisfaction parentale de 82 %.La défense des droits de copyright et la lutte contre le piratage figureront aussi dans l'héritage de Jack Valenti : "Dans quelques années, on va pouvoir offrir vingt mille films sur Internet. Le futur est au numérique ! Mais il faut d'abord régler les questions d'encryptage et de gestion des droits de copyright, et aussi changer les comportements des jeunes en leur expliquant que, même si c'est facile de télécharger, ils n'ont pas pour autant le droit de le faire." Actuellement, à coups de pages de publicité dans la presse américaine, la MPAA avertit les swappers, ceux qui échangent des films en ligne, qu'ils risquent des poursuites légales et une amende de 30 000 à 150 000 dollars par film téléchargé ou mis à disposition sur Internet.C'est d'ailleurs un excès de zèle dans sa lutte contre le piratage qui a fait commettre à ce vieux renard la seule erreur de sa carrière... qu'il veuille bien admettre. Pendant la récente campagne des Oscars, pour éviter le piratage des films, les studios avaient interdit l'envoi de films sur cassettes ou DVD - les screeners - aux membres de l'Académie, déclenchant une énorme polémique. "Si c'était à refaire, je procéderais différemment, je discuterais au préalable avec les guildes de réalisateurs, d'acteurs, de scénaristes et les distributeurs indépendants. La moitié des 60 titres en circulation l'année précédente avaient été piratés, et cela m'a tellement inquiété que j'ai agi trop précipitamment."Et ce démocrate avoue un gros regret, de nature politique. Il aurait aimé se présenter à un poste électif, comme maire de Houston ou représentant au Congrès. Puis il cite une inscription d'un cimetière texan dont le président Johnson lui avait parlé : "Ici repose... Il a fait tout son possible."Claudine Mulard22 novembre 1963, Dallas : Lyndon Johnson embauche son "conseiller spécial"En novembre 1963, lors de la visite du président américain John Fitzgerald Kennedy au Texas, Jack Valenti, alors directeur d'une agence de conseil en communication politique à Houston, assure la liaison avec la presse. Il a organisé un grand dîner de gala pour J.F.K., à Houston. Le 22 novembre, à Dallas, il se trouve dans la sixième voiture du cortège officiel."Je n'ai pas entendu les coups de feu, se souvient-il, mais j'ai compris qu'il se passait quelque chose quand la voiture devant nous, qui roulait à 10 km/h, s'est mise à foncer à 100 km/h."A l'annonce du décès de John Kennedy, le vice-président Lyndon B. Johnson, un Texan lui aussi, enrôle sur le champ Jack Valenti comme son conseiller spécial. Sur la célèbre photographie de Lyndon Johnson prêtant serment aux côtés de Jackie Kennedy en tailleur rose ensanglanté, dans l'avion qui ramène le corps du président assassiné à Washington, on distingue le jeune Valenti, sous une crinière de cheveux noirs.Cette journée scelle le destin politique de ce démocrate, qui passera trois années à la Maison Blanche, où il résidera.Quand il démissionne en 1966 pour prendre la direction de la MPAA, le président Lyndon Johnson n'apprécie pas du tout le départ de son conseiller, qu'il compare à ce commandant américain ayant trahi au profit des Anglais pendant la guerre d'Indépendance : "La chose la plus gentille qu'il m'ait dite ce jour-là, c'est de me comparer à Benedict Arnold !", confirme Valenti.Biographie1921Naissance à Houston (Texas).1963Conseiller à la Maison Blanche.1966Président de la MPAA. 1992Publie un roman, "Protect and Defend" (Doubleday). 2004Remplace Dan Glickman à la MPAA.
