Concert Islande à l'aiseA Reykjavik, le festival Iceland Airwaves a confirmé, quatre nuits durant, la vitalité d'une scène musicale où l'on recense une centaine de groupes.par Gilles RENAULT Virile, mais correcte. L'ambiance pour s'extraire des toilettes de la Nasa tient plus d'une mêlée ouverte de rugby, que des règles de bienséance édictées pour la Cour par Baltazar Gracian. Comment sortir de l'endroit, passablement encombré, quand ceux qui veulent y entrer obstruent eux-mêmes le passage ? Il faut dire que ça doit urger, si l'on considère les demi-litres de bière éclusés sans répit par la faune locale, composée de groupes de garçons et de filles en général plus mélangés à la fin de la soirée qu'au début.Salle de concert de plusieurs centaines de places, la Nasa est l'un des six lieux de Reykjavik investis entre mercredi et samedi derniers par le festival Iceland Airwaves qui a donné un aperçu à peu près exhaustif de la création musicale islandaise, augmentée de quelques invités select des New-Yorkais archi-hype de Clap Your Hands Say Yeah aux ébats sexy de Juliette (Lewis) and The Licks, plus les Anglais The Zutons, les Suédois The (International) Noise Conspiracy...Tournure arty. En règle générale, tout(e) Islandais(e) valide de moins de 50 ans sort chaque week-end pour se déchirer méthodiquement la tête. Festivités obligent, Iceland Airwaves confère au rituel une tournure arty de bon ton, qui infiltre aussi bien le sous-sol du théâtre national (orienté electronica) que le musée d'art (plus rock). Car ici, aux confins de l'Europe, la musique et la culture en général : cinéma, arts numériques, danse... est devenue, après le contact privilégié à la nature, un formidable vecteur de communication.Grâce à Björk, une bonne partie de la planète s'est souvenue qu'il existait au nord de l'Ecosse un bout de terre plus étendu que la Belgique et les Pays-Bas réunis et cependant à peine plus peuplé que la seule ville de Nantes ! Le contact établi, d'autres ont suivi, Sigur Rós, Gus Gus, Múm, Emiliana Torrini... Le pays, devenu tendance, a su profiter à plein de l'essor des nouvelles technologies. Et, s'il ne cesse de vibrionner depuis plus de dix ans, Iceland Airwaves entend bien jouer le rôle de l'électrocardiogramme.Créé en 1999, à l'initiative d'une société de promotion de spectacles, Mr. Destiny, et du département américain de la compagnie aérienne nationale, le festival a connu une progression régulière et constante. La première édition réunit quatre groupes, sur un soir, dans un hangar de l'aéroport. La deuxième ne dure également qu'une nuit, mais dans une vaste salle de sport. Gorillaz joue en 2001. De fil en aiguille, le projet s'affine, jusqu'à essaimer la ville. «Nous défendons l'idée d'être pris au sérieux en privilégiant un esprit de fête. Raison pour laquelle nous préférons des endroits relativement intimes, bien qu'il y ait beaucoup de monde et que l'attention professionnelle et médiatique semble s'intensifier», explique Arni Einar Birgisson, l'un des organisateurs.Prospectif et débraillé. Aujourd'hui, Iceland Airwaves est devenu la vitrine de la scène nationale avec, ce week-end, pas moins d'une centaine de groupes indigènes programmés. Mi-Fête de la musique (critères de sélection souples, au risque de niveler par le bas), mi-Transmusicales de Rennes (on en a importé de Finlande), pour le côté prospectif et débraillé, la manifestation démontre donc la vitalité septentrionale, toutes obédiences confondues (punk, hip-hop, electro, rock, funk...). A quoi faut-il attribuer une telle prodigalité ? «Une réponse évidente, mais sans doute exacte, est que beaucoup se mettent à la musique pour tromper l'ennui, car il n'y a pas grand-chose d'autre à faire, précise Arni Einar Birgisson. Et c'est probablement plus facile qu'ailleurs : tout le monde se connaît et les liens sont souvent étroits, puisqu'ils fréquentent les mêmes cafés, studios, bibliothèques. Si vous songez à monter un groupe lundi, il peut exister vendredi et être sur scène la semaine suivante.»Casquette. De fait, en observant la généalogie locale, on constate que la plupart des musiciens naviguent au gré des réjouissances, portent fréquemment plusieurs casquettes et que tout ce petit monde baigne dans une intrication de formations aux trajectoires parfois fugaces. Presque tous sont étudiants ou exercent un travail en parallèle, et font fréquemment des concerts, dans un pays où vendre 3 000 albums signifie la consécration... et l'espoir de poursuivre l'aventure sur le continent.Ainsi, divers groupes islandais se tiennent ces temps-ci en embuscade, de Jeff Who ? un ersatz de Franz Ferdinand aux improbables Hjálmar, branchés reggae ! D'autres, encore plus jeunes, trépignent déjà : Mr. Silla, Future Future, Mammút... Jusqu'à Hairdoctor, un duo formé en janvier et piloté par un dénommé Jón Atli, qui lie guitare et beats électroniques dans une pop fougueuse assez efficace. Tête à claques munie d'un micro-sèche-cheveux dans une main et d'une bière dans l'autre, Atli a dû longtemps fantasmer dans sa chambre, enfant, devant des posters de Ziggy. Aujourd'hui, il (s')y croit et n'a pas forcément tort.En comparaison, Einar ÷rn fait office à la fois de vétéran et de gourou. Fort de son passé au sein des Sugarcubes (la matrice björkienne), il cultive au pays un statut de pilier de la scène musicale. Ghostigital, son nouveau projet noisy, qu'il défend avec pugnacité en public, est une sorte de free techno (comme on dit free jazz), où le rock ouvre des brèches incantatoires. «Cela fait vingt-cinq ans que je suis dans la musique. Du coup, après avoir visité le rock, comme le folk ou le punk, j'ai envie de choix plus risqués, fondés sur l'intellect et le chaos. Une forme de déconstruction qui a au moins le mérite d'explorer des voies inédites.» Einar ÷rn est notamment accompagné par son fils de 13 ans à la trompette, à sa droite, casquette sur le crâne.Le lendemain après-midi, samedi, autre incarnation de la relève de la relève, c'est un certain Sindri, 19 ans, qui, avec son groupe, Jonny Sexual, anime le off du festival Iceland Airwaves. Qu'en pense sa maman ? Seule Björk pourrait répondre.
