Mort d'Isabelle Vichniac Isabelle Vichniac

Mort Isabelle Vichniac Isabelle Vichniac, ancienne correspondante du Monde à Genève, est morte dimanche 29 octobre. Elle était née Isa Bergier, le 11 octobre 1917, à Odessa, dans une famille russe. " Tu m'as fait manquer la révolution", lui reprochait sa mère. Mais la révolution se montre cruelle, et les Bergier doivent fuir. A Paris dans les années 1930, Isabelle Vichniac se retrouve secrétaire de Joseph Kessel, qui la pousse dans le journalisme : " Avec ses articles, explique-t-il, Albert Londres a fait fermer les bagnes." Belle leçon qui deviendra la morale d'Isa. En 1939, elle rencontre Jacques Vichniac (1917-2003), d'origine russe lui aussi, poète et militant qui signe Jacques Givet : l'amour de toute une vie. La guerre, la Résistance : Isabelle Vichniac vient en aide aux républicains espagnols évadés du camp de Gurs, à Toulouse, puis à Lyon. Jacques Vichniac, membre du mouvement Combat, arrêté, torturé, s'échappe du train qui l'emmène en déportation, puis participe à la libération de Paris. Toujours poète, il sera haut fonctionnaire à l'Organisation internationale du travail (OIT), puis interprète. Dans les années 1950, Isa devient correspondante à Genève du Monde, du Libération d'Emmanuel d'Astier (sous le pseudonyme de Jean Ivy) et de Combat. Avec le temps, seul Le Monde survivra. Elle suit attentivement les travaux de la Commission des droits de l'homme de l'ONU à une époque où le sujet mobilise peu. Anticolonialiste depuis toujours, elle dénonce la guerre d'Indochine, ensuite et surtout la guerre d'Algérie. Elle informe sur les disparitions, les tortures, elle héberge et fait héberger les réfugiés et les clandestins. Inlassablement, elle organise des rencontres entre Français et Algériens. A Genève, Jacques et Isa s'étaient installés avec leurs trois fils dans un appartement bourré de bibelots et de tableaux, de livres russes, d'une belle édition de Voltaire, d'encyclopédies et de journaux. Il y passait la terre entière et l'on y dînait délicieusement à dix ou quinze tous les soirs. On y croisait les opposants de toutes les dictatures, Algériens, Angolais, Iraniens, Biafrais, Russes, Polonais, des jeunes gens qui venaient là pour un soir et restaient - fils ou filles adoptifs - pour un an, des écrivains, des jésuites, de belles jeunes femmes, des Israéliens et des Palestiniens, qui, pour une fois, buvaient et parlaient ensemble. L'un de nous y est passé pour la première fois en 1968 à la veille d'un départ pour le Biafra. Isa n'a pas eu un geste pour le retenir, mais ensuite elle a pleuré : "Il va mourir." Par bonheur, ce coup-là elle s'était trompée. Ses combats furent innombrables, et ses articles impeccables. Pour Jacques et Isa, tous les jours, c'était un peu le 18 juin 1940. Elle se battit dès les années 1960 pour la liberté des Kurdes, contre l'esclavage en Arabie saoudite et en Mauritanie, contre l'excision à une époque où personne n'y voyait du mal, pour la liberté de l'avortement. En 1968, elle fut la seule journaliste française de presse écrite présente en Tchécoslovaquie, ce qui nous valut ses articles à la une du Monde et un livre, L'ordre règne à Prague (Fayard). En 1978, par une enquête retentissante, elle dévoila la collusion entre l'Argentine fasciste et l'Union soviétique. C'est elle qui introduisit les "Folles de la place de Mai" à l'ONU. Enfin, elle est l'auteur de l'unique ouvrage destiné au grand public sur la Croix-Rouge, Les Stratèges de la bonne conscience (Alain Moreau). Sa vie d'aventures et d'engagements avec son mari fit l'objet d'un livre de Cécile Romane, Les Téméraires (Flammarion). En 1992, elle sera nommée chevalier de la Légion d'honneur. Déjà malade, elle écrivit son dernier article pour Le Monde en 1999, à l'âge de 82 ans. Isabelle Vichniac a toujours joint le geste à la parole, pensant qu'il fallait sauver le monde plutôt que de rêver à le changer, et que cela dépendait de chacun d'entre nous. Pas de solution universelle : millionnaire en amitié, elle tendait la main aux victimes. Elle avait conservé un terrible accent d'Odessa et, bien plus drôle que ses articles ne le laissaient supposer, pétillait de bons mots et de cocasseries.