Crise IRAK L'enlèvement de deux jeunes Italiennes dans les bureaux de leur ONG, mardi, a créé un choc terrible chez les derniers expatriés encore présents sur le terrain Les humanitaires fuient Bagdad Le rapt de deux volontaires italiennes en plein jour mardi dans le centre de Bagdad pousse les ONG internationales à quitter l'Irak, où la stratégie des preneurs d'otages inquiète considérablement les autorités. «Après mes consultations de la matinée, il semble que la majorité des ONG internationales se préparent à quitter l'Irak, et certains expatriés sont déjà partis ce matin», a affirmé hier le coordinateur des activités des ONG dans ce pays, Jean-Dominique Bunel. A Paris, le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, doit recevoir les dirigeants de la majorité et de l'opposition ce matin à l'Hôtel Matignon pour parler de la situation des otages français en Irak. Aucun signe ne distingue la villa des maisons voisines. Le commando qui a enlevé avant-hier en plein après-midi les deux responsables italiennes de l'organisation humanitaire Un pont pour Bagdad avait manifestement reconnu son objectif. Les trois véhicules chargés d'une vingtaine d'hommes armés, tous vêtus d'uniformes militaires et de gilets pare-balles, comme les unités spéciales de la police irakienne ou une des sociétés de surveillance qui opèrent en ville, n'ont eu qu'à se garer dans la rue bordée d'eucalyptus du quartier résidentiel de Nidal. Puis une partie du commando se fait ouvrir le portail de fer de la villa par le gardien avant de le pousser sans ménagement avec d'autres employés de l'ONG italienne dans le garage. Un ou deux hommes, selon les témoignages, vêtus de costumes de bonne coupe et aux barbes bien taillées, montent ensuite directement à l'étage de la villa qui abrite les bureaux de l'ONG. Ils s'emparent brutalement des deux jeunes Italiennes qui dirigent l'antenne locale de l'organisation, Simona Torretta et Simona Pari, ainsi que de deux employés irakiens, un ingénieur travaillant pour la même ONG, et une femme, Mihnaz Mourad, chargée d'un projet pour une association similaire. Les quatre otages sont poussés dans les voitures et l'Irakienne, qui se débat, est, malgré son voile, violemment tirée par les cheveux. Les trois véhicules, une Jeep, un pick-up et une Opel rouge, démarrent, passent le carrefour suivant et disparaissent dans la circulation très dense de la fin de journée. L'opération n'a guère duré plus de cinq minutes d'après les employés de l'ONG. Le quartier où s'est déroulé l'enlèvement n'a rien d'un faubourg mal famé. La rue est pleine de villas cossues, chacune dotée d'un gros générateur. Depuis le portail de la maison d'Un pont pour Bagdad, on aperçoit à moins de cent mètres les barricades de béton de l'immeuble de l'Unicef, et les guérites des gardes qui ont assisté à toute la scène. De l'autre côté de la rue, un dignitaire kurde a fait barrer une contre-allée et entretient ses propres gardes du corps. Et, au-dessus des toits, se dresse l'immeuble de l'hôtel Sheraton, où sont stationnées des troupes américaines. Mais le commando, qui n'a tiré aucun coup de feu, est passé inaperçu dans une ville où sociétés de surveillance et unités de police mal identifiées se déplacent en permanence. C'est la première fois, mis à part le cas d'une Japonaise retenue quelques jours en Irak voici quelques mois, que des femmes sont enlevées par des radicaux musulmans. L'annonce du rapt a eu un effet dévastateur parmi la poignée d'étrangers encore présents à Bagdad. Moins de trois semaines après l'enlèvement des journalistes français Georges Malbrunot et Christian Chesnot sur une route réputée dangereuse, l'enlèvement de deux Italiennes en plein jour dans leurs bureaux gardés a fait souffler un vent de panique. La cinquantaine d'expatriés travaillant encore dans la capitale irakienne, après l'exode des agences des Nations unies et de la plupart des ONG qui avait suivi les attentats suicides de l'été 2003 contre les sièges de la Croix-Rouge et de l'ONU, étaient hier injoignables. Leur coordinateur, Jean-Dominique Bunel, annonçait hier à l'issue d'une réunion extraordinaire que la plupart d'entre eux étaient en train de quitter le pays ou s'apprêtaient à le faire. «La plupart de ceux qui étaient restés depuis les attentats de l'an dernier appartenaient pour la plupart à des organisations d'esprit «altermondialiste» ou pacifiste, et pensaient que leur engagement humanitaire et leurs prises de position contre la présence militaire américaine les mettaient à l'abri, remarquait hier un expatrié à Bagdad. L'enlèvement d'hier a été pour eux un choc terrible !» Les ambassades, barricadées derrière les murs de béton, ont aussitôt renforcé leurs gardes. Et les quelques journalistes qui vivaient encore dans des villas emménageaient hier matin dans les hôtels gardés par les Américains. Le porte-parole du ministère irakien de l'Intérieur, dont l'autorité vient d'être bafouée à quelques rues de ses bureaux, a affirmé avoir «pris des mesures» contre «cette dangereuse escalade». Mais cette annonce était assortie d'un quasi-constat d'échec, puisque le porte-parole a reconnu que cette nouvelle prise d'otages étrangers au centre de la capitale était «susceptible de se reproduire partout». Mais ces nouveaux enlèvements ont aussi semé la consternation dans les cercles qui s'efforcent depuis plusieurs semaines à présent d'obtenir la libération de Georges Malbrunot et de Christian Chesnot. Le rapt de deux nouveaux Occidentaux vient en effet compliquer singulièrement la tâche de ceux qui essayent par divers canaux, et notamment par l'intermédiaire de religieux sunnites, d'obtenir une libération des captifs. Le message rendu public jusqu'à présent par les religieux salafistes et le Comité des oulémas, qui n'ont condamné ni le principe des rapts ni l'assassinat de certains otages, consiste à «demander» aux ravisseurs d'épargner les deux journalistes en raison de leur nationalité, la France n'étant pas membre de la coalition. Cet argument, au lendemain du rapt de deux Italiennes, ressortissantes d'un pays engagé aux côtés des Etats-Unis en Irak, risque d'impliquer soudain une terrible contrepartie, que certains préféraient jusqu'à présent ignorer.