Procès Instantané : la gifle de Carole Bouquet Elle a descendu les trois marches et s'est approchée du tribunal avec ce mélange subtil de naturel et de grâce hautaine, un gilet jeté sur les épaules et la parfaite élégance d'une dame d'un autre siècle, enveloppée dans sa belle voix chaude. Elle a promené avec un demi-sourire un regard glacial sur les prévenus, qui se sont sentis redevenir petits garçons. "Elle a l'air méchante", a soufflé le général Charroy. Le public, qui frémissait d'aise à l'idée, mercredi 26 janvier, d'une audience un peu people après le défilé d'octogénaires des jours précédents, a compris que Carole Bouquet n'était pas venue prendre le thé."J'ai l'utopie de penser que je vis dans un pays démocratique, et la présomption de croire que votre métier sert à quelque chose, a jeté l'actrice au président qui lui demandait pourquoi elle s'était constituée partie civile. Il n'y a aucune raison qui relève de la raison d'Etat qui justifie qu'on m'ait écoutée. Et ceux qui pourraient s'expliquer ne sont plus là pour en parler. Je faisais attention, déjà fort jeune, de m'éloigner du pouvoir, de ne jamais m'en approcher." Elle connaît Jacques Attali, l'ancien "sherpa" de François Mitterrand, depuis l'âge de 15 ans et ne l'a pas revu durant deux septennats, pour garder sa liberté.Ses deux lignes téléphoniques ont été écoutées un mois, de janvier à février 1985. C'était son mari, le producteur Jean-Pierre Rassam, qui était en fait visé. Elle était écoutée sous le code "Bûche" - "Bûche !, c'était mon surnom, c'est une chose qui m'a fait sourire", a glissé la dame -, la cellule a noté "profession : sans", "motif : sécurité de personnalités de la défense". Christian Prouteau a vaguement expliqué qu'une note des RG soupçonnait le producteur de liens "au plus niveau" avec la Libye. Son adjoint, Pierre-Yves Gilleron, a assuré qu'il "était connu" de la DST, le secret défense lui interdisant un mot de plus. L'Elysée a vite levé l'écoute, qui n'avait pas d'intérêt. Alors, Carole Bouquet a parlé du père de son fils aîné, et la cellule s'est tenue coite. "Il est mort à la fin du mois de janvier 1985, je ne sais pas quel jour exactement, je l'aimais, je ne peux pas fixer cette date dans ma mémoire, a expliqué l'actrice, avant de gifler un grand coup les prévenus. Vous avez continué à l'écouter alors qu'il était mort. C'est pas grave, c'est juste un problème d'organisation."Elle a raconté comment elle avait rencontré Jean-Pierre Rassam, lors d'une interminable réunion chez le producteur Alain Sarde. "Il est arrivé un homme qui marchait comme Charlot. Il a posé des questions, il a fait le clown. Il avait une intelligence extrêmement vive, c'était un homme immensément drôle, j'en suis tombée amoureuse à la seconde." Il avait produit Coluche et Jean-Luc Godard, connaissait le président algérien Chadli, mais était au bout du rouleau et "avait préféré se coucher quelques années plutôt que de vivre". Il était drogué, ruiné - c'est d'ailleurs elle qui payait le téléphone. "Il ne présentait aucun danger, il n'avait aucun pouvoir. Il était fragile. C'est peut-être ça qui m'a séduite."Franck Johannès
