Manifestation Importantes manifestations latinos contre un projet de loi discuté demain au Sénat. L'immigration peuple les rues américaines C'est par des manifestations monstres dans plusieurs villes à Los Angeles, record historique de 500 000 personnes que les Hispaniques ont ouvert, samedi, le grand débat sur l'immigration que la classe politique américaine avait, jusque-là, toujours pris soin de retarder. Leurs slogans : «We are America», «Mon fils est mort en Irak», «Ne déportez pas mes parents», «Je suis un laveur de vaisselle, pas un criminel.» Le sujet doit être discuté par le Sénat en séance plénière à partir de demain. Certains sénateurs républicains et démocrates entendent régulariser des clandestins (projet John McCain-Edward Kennedy), mais les républicains les plus conservateurs, qui dirigent le Sénat, prônent une approche exclusivement répressive, passant par la militarisation de la frontière et la criminalisation des illégaux (projet du leader de la majorité Bill Frist). La fronde gronde. A l'origine du débat, le président Bush est au coeur de la tempête qui se lève. Après avoir perdu le contrôle de ses troupes sur ce dossier, il risque de perdre le reste d'autorité qu'il détient encore. Il est, depuis longtemps, en faveur d'une forme de régularisation des illégaux. Ancien gouverneur du Texas, l'Etat dont la frontière avec le Mexique est la plus longue, il sait ce qu'est un électeur latino et surtout combien le business a besoin de ces travailleurs peu onéreux. Mais, au sein du Parti républicain, la fronde gronde. Pour massives qu'aient été les manifestations de samedi, elles impressionnent bien moins les élus que les sondages. Selon le plus récent d'entre eux, réalisé par l'institut Zogby, 62 % des Américains sont en faveur d'une «politique d'immigration plus restrictive». Drapés dans l'étendard de la sécurité du territoire, les plus conservateurs occupent la scène. Le Sénat compte encore des républicains «probusiness» (et donc prorégularisation), mais beaucoup rasent les murs. Xénophobie ambiante. George W. Bush se prépare pourtant à la bagarre. Samedi, il a consacré son allocution radiophonique hebdomadaire à la question, pour rappeler que «l'Amérique est une nation d'immigrants». Aujourd'hui, il devrait présider une séance de naturalisation : une belle image d'hommes et de femmes jurant ensemble fidélité à la Constitution. Plus tard dans la semaine, il s'envolera pour Cancún, au Mexique, pour rencontrer son homologue Vicente Fox. Jeudi dernier, il a fait une allusion à la xénophobie ambiante sur la colline du Capitole, appelant les membres du Congrès à «faire en sorte que la rhétorique soit en accord avec nos traditions» et à ne pas «dresser des groupes de gens contre d'autres». Avant le 11 septembre 2001, la réforme de l'immigration était une des priorités de Bush. Il suggérait d'offrir aux quelque 12 millions d'illégaux vivant sur le territoire un titre de séjour de trois ans ­ une durée qui, entretemps, est passée à six ans. George W. Bush a toujours pris soin de déclarer qu'il ne s'agissait pas d'une amnistie, mais sans convaincre ses électeurs. Le projet a été mis sous le boisseau ; lors de la dernière campagne électorale, Bush a choisi de l'y laisser, ce qui convenait parfaitement à son opposant démocrate, John Kerry. Poussée démographique. En relançant le débat, Bush a braqué la droite de son parti, qui jusque-là constituait son plus solide soutien, notamment sur les baisses d'impôts et la politique étrangère. Pour ces républicains, l'immigration coûte cher en dépenses de scolarité et en frais médicaux, et elle menace l'identité «anglophone» du pays. Pour calmer sa base, Bush souhaite désormais que la loi comporte aussi un pilier restrictif : le renforcement du contrôle de la frontière. Les démocrates, qui considèrent la poussée démographique des Latinos comme leur meilleure chance de regagner un jour le contrôle des Etats de l'Ouest ou de la Floride, s'apprêtent à affronter au Sénat les conservateurs menés par Frist. Le leader de la minorité sénatoriale, Harry Reid, s'est déclaré prêt à bloquer un texte répressif par un filibuster, une tactique parlementaire que la majorité ne peut surmonter que par un vote aux deux tiers. De son côté, la sénatrice de New York Hillary Clinton a appelé le Christ en renfort. Avec une telle loi, a-t-elle déclaré la semaine dernière, non sans emphase, «le bon Samaritain et Jésus lui-même seraient des criminels».