Exposition Holbein, le sauvageon de BâleUn l'attendait depuis presque un demi-siècle : le Kunstmuseum de Bâle, puis la Tate Britain de Londres rendent enfin hommage à Hans Holbein le Jeune (1497-1543). La première de ces deux expositions, à Bâle jusqu'au 2 juillet, retrace les années que le peintre passa en Suisse. La seconde, qui n'ouvrira que le 28 septembre, racontera la seconde carrière de l'artiste, auprès du terrible roi Henri VIII. On n'avait jamais montré un tel ensemble depuis 1960 et, autant qu'à l'histoire d'un peintre qui fut considéré comme le "Raphaël allemand", c'est au témoignage d'un tournant de la civilisation que les visiteurs sont conviés.D'abord une date, 1515. Pendant que d'aucuns s'étripent à Marignan, deux jeunes gens parviennent à Bâle, depuis Augsbourg, où leur père tient un atelier de peinture. Une boutique dans la tradition médiévale, où le maître, Hans Holbein l'Ancien (1465-1524), enseigne à ses apprentis. Ses fils, en l'occurrence, Ambroise (1494- 1519) et Hans Holbein le Jeune. Les deux jeunes gens quittent leur Souabe natale pour parfaire leur éducation dans la ville la plus excitante de la région. Bâle est alors un des centres mondiaux de la culture. Erasme y travaille avec l'imprimeur Froben à une édition (il y en eut quarante de son vivant) de L'Eloge de la folie.C'est sur l'exemplaire appartenant au théologien Oswald Geisshüsler, dit Myconius, que les deux frères vont exercer leur verve. Myconius leur enseigne le latin, ils décorent les marges de son livre d'illustrations d'une imagination débordante. C'est probablement pour lui aussi qu'ils peindront deux enseignes de maître d'école, l'une montrant deux étudiants entourant leur professeur, l'autre des garnements dissipés recevant une punition. C'est que les Holbein sont aussi des sauvageons. Quelques rixes les opposent aux citoyens suisses. Hors le latin et les horions, ils complètent leur formation de peintre auprès d'un artisan local, Hans Herbst.Un an après son arrivée, en 1516, Hans Holbein peint sa première oeuvre majeure, tant par l'exécution que par le sujet : les portraits du premier personnage de la ville, le bourgmestre Jakob Meyer, et de son épouse. Hormis le fait qu'il ressemble à Gérard Depardieu, Meyer est le premier magistrat de Bâle à n'être pas issu de la noblesse. C'est un banquier, adepte de la mondialisation avant l'heure, qui se soucie comme d'une guigne des guildes et des corporations médiévales si vivaces dans sa cité et n'hésite pas à confier son portrait à un débutant qui n'a pas encore acquis son droit de maîtrise (Holbein ne sera admis à la guilde des peintres bâlois qu'en septembre 1519), un étranger de surcroît.RÉVOLUTION POST-GOTHIQUEHolbein commence là une carrière de portraitiste qui le mènera jusqu'à la cour du roi d'Angleterre. Il peint le portrait d'un autre homme d'affaires, le juriste Boniface Amerbach, qui, par sa modernité - c'est-à-dire, dans le contexte local, son "italianité" -, est une révolution dans le monde bâlois des arts encore soumis, au mieux, aux formes du gothique tardif. Il est aussi capable de peindre des grands décors et abandonne quelque temps à cet effet Bâle pour Lucerne, où les Hertenstein, une famille patricienne de la ville, veulent orner leur maison de fresques aujourd'hui détruites. Il en profite pour faire le portrait du fils de la famille, Benedict, et effectuer un hypothétique (les spécialistes en discutent encore) voyage en Italie. En tout cas, ses dessins de façade témoignent de sa connaissance de l'architecture vénitienne, ainsi que des styles de Mantegna et d'autres artistes de la Péninsule comme Solario, dont il verra des exemples lors d'un voyage en France en 1524.En 1520, de retour à Bâle dont il acquiert la citoyenneté, Holbein multiplie les sujets religieux, projets de vitraux ou retables, et peint une oeuvre époustouflante, un météore dans l'histoire de l'art, Le Christ au tombeau. A l'échelle : le corps est tout entier représenté sur un panneau qui a les proportions exactes d'un cercueil, 30 centimètres de haut sur 2 mètres de long. Le Christ est émacié, décharné, livide, les plaies verdâtres. Un cadavre en décomposition. Dostoïevski, qui fit le voyage spécialement pour le voir, écrivit qu'"un tel tableau pouvait faire perdre la foi". De celle d'Holbein en ces temps où la Réforme protestante gagne Bâle, on ne sait rien. Sinon qu'il peint deux madones, l'une pour le greffier Johann Gerster, l'autre pour Jakob Meyer.Mais les protestants n'aiment guère les images. Des émeutes iconoclastes éclatent en Suisse. "Ici, les arts ont froid", écrit Erasme à son ami Thomas More, l'auteur de l'Utopie, que Froben a publiée à Bâle en 1518. Et il lui recommande Holbein. Celui-ci, qui a tenté vainement de s'employer en France, auprès de François Ier, se rend à Londres en 1526. Puis revient à Bâle, peint un des plus beaux portraits de cocotte de l'époque, Laïs de Corinthe, et un des premiers et des plus poignants portraits de famille de l'histoire de l'art, celui de son épouse et de ses deux enfants, d'une tristesse infinie. Ils ont de quoi : Holbein va les abandonner en 1532, pour trouver fortune à Londres. C'est ce second épisode brillant, plein de bruit et de fureur, que la Tate Britain contera en septembre.
