Annonce Henrik Syse, un rempart contre la tentation Au pays du prix Nobel de la paix, la guerre se mène contre la tentation. Et en Norvège, la tentation a une odeur, celle du pétrole. Henrik Syse, jeune philosophe norvégien de 39 ans, a le même âge que cette épopée de l'or noir qui a fait de ce petit pays scandinave l'un des plus riches au monde. Gamin, il a grandi avec les images télévisées de ces plates-formes pétrolières en mer du Nord. Sans bien réaliser ce que cela signifiait. Aujourd'hui, Henrik Syse a compris. Bibliographie 1966 Naissance à Oslo. 1992 Enseigne à l'université d'Oslo. 1998 Membre pendant trois ans de la commission des valeurs, créée par le gouvernement de centre droit. 2005 La banque centrale de Norvège lui demande d'intégrer l'équipe chargée de la gestion du Fonds pétrole. [-] fermer Depuis début septembre, il est chargé de réfléchir au sein de la Banque centrale de Norvège à la gestion éthique de la formidable manne pétrolière qui se déverse sur le royaume. Lorsque la banque l'a contacté, il a d'abord cru à une erreur. "Moi, un philosophe, à la Banque centrale ?" S'il fait le candide, toute son histoire l'a pourtant préparé à ce rôle. Il se souvient de ce Noël 1979 où, enfants, lui et son frère avaient reçu de leurs grands-parents un livre sur les débuts de l'aventure norvégienne du pétrole. "Vous ne comprendrez rien de tout cela maintenant, avait dit sa grand-mère d'un ton grave, mais rappelez-vous, plus tard, que vous vivez une période absolument capitale. Le pétrole changera beaucoup de choses dans la façon dont ce pays réfléchit sur lui-même." Henrik Syse a appris. Avec son père, homme politique conservateur et premier ministre de 1989 à 1990, les discussions allaient bon train. Henrik Syse écoutait. "S'il y a des problèmes, lui disait son père, on se dit toujours qu'il y a le pétrole, et on ne voit plus les voyants qui clignotent." Les affres de la tentation, Henrik Syse ne les a pas éprouvées. Il n'a jamais été un rebelle et a rejoint les jeunesses conservatrices, influencé par ce père disparu dont il a publié, avec son frère et sa mère, les discours. Pour mémoire, il a suivi ses études de philosophie et rencontré Dieu. "J'ai senti que je ne pouvais pas éviter les questions posées par la religion." Si ses valeurs le rapprochent bien plus du petit Parti chrétien-démocrate, il est resté proche du Parti conservateur – par fidélité à son père – quitte à le critiquer. "C'est sans doute dans cette formation qu'il est le plus controversé", avance le politologue Jo Saglie. Bon fils, bon Norvégien, bon luthérien, il enseigne le catéchisme à l'école du dimanche. "Dans une société sécularisée comme la Norvège, c'est une forme de rébellion" , plaisante-t-il, comme pour s'excuser. Certains lui reprochent d'être ennuyeux. "Dans mon CV, vous ne trouverez pas que j'ai été communiste pendant deux ans. Mais être philosophe, c'est original, non ?" Ou comment tenter de gommer cette image trop lisse. Lui, le conservateur chrétien, omniprésent dans les médias, féru de morale classique, de loi naturelle et d'éthique de la guerre, combattant la tentation... Un rôle parfait, selon Peter Burgess, un collègue philosophe du Centre de recherche sur la paix. "Même si je ne suis pas de son avis, Henrik pense que c'est son rôle, en tant que philosophe, avec ses bases chrétiennes dont il est très fier, d'établir des normes pour les autres." Si certains lui reprochent son côté missionnaire et donneur de leçons, il est très peu controversé. "Toute la société norvégienne est dans son ensemble assez moraliste", analyse Peter Burgess. Dans les locaux de la banque à Oslo, Henrik Syse, silhouette fluette, en est encore à se perdre dans les couloirs du quatrième étage, celui du sanctuaire où 120 analystes gèrent le Fonds du pétrole. C'est dans ce fameux Fonds qu'est transférée la quasi-totalité des recettes pétrolières et gazières du pays, afin d'être placée en actions et obligations internationales. Il atteint déjà 150 milliards d'euros et sera, selon les Norvégiens, le plus gros au monde d'ici quelques années. La plupart des partis politiques se sont interdits d'y toucher pour le réserver aux générations futures et éviter la surchauffe de l'économie. Mais la tentation est là, toujours. Tentation de placer l'argent dans des entreprises très rentables mais sulfureuses. La Norvège se l'est interdit. Au ministère des finances, un conseil d'éthique joue le rôle du gendarme. Cet été, la société Thales en a fait les frais, parmi d'autres, parce qu'elle fabrique des éléments de bombes à fragmentation. Résultat, le Fonds du pétrole vient de vendre ses actions Thales. Total est actuellement dans le collimateur à cause de sa présence en Birmanie. De son côté, Henrik Syse doit réfléchir à la façon dont la Banque de Norvège, tout en gardant un objectif de rentabilité à long terme, peut exercer le droit de vote le plus éthique possible aux assemblées générales de ces entreprises. "Plutôt que de se retirer de ces entreprises, ne peut-on pas essayer de faire pression sur elles ? Et comment faire, selon quels principes ?", note M. Syse en évoquant sa mission. Tentation de dilapider cet argent du pétrole pour construire plus de crèches ou de maisons de retraite, ce qui explique le succès aux élections législatives à la mi-septembre du Parti du progrès (droite populiste). "Alors que l'on dépense déjà tellement pour l'Etat-providence" , remarque Henrik Syse, laissant pointer l'idéologue. Est-ce l'homme politique de droite ou le philosophe de l'éthique qui est en place à la banque ?, s'interroge Peter Burgess. "Il appartient à la frange du Parti conservateur qui s'intéresse plus aux valeurs qu'à la politique économique", estime Jo Saglie. Pendant trois ans, il a fait partie de la commission des valeurs du premier ministre chrétien-démocrate sortant Kjell Magne Bondevik, un ancien pasteur luthérien. A la Banque, il poursuit sur cette voie, tant l'argent du pétrole fait corps avec les soubresauts de cette société. "La Norvège se fait une assez haute idée de l'éthique, constate Henrik Syse. C'est une vieille attitude missionnaire très norvégienne qui veut que l'on sache mieux que les autres ce qui est bon pour le monde." Mais qui va de pair avec une certaine autosuffisance. "Vous pensez tellement être une norme pour le monde entier que vous en devenez très égocentriques." Il insiste sur la modestie requise par sa nouvelle fonction. Professionnalisme, humilité, modestie. Une approche toute luthérienne. Pas de limousines, pas de dîners huppés. Henrik Syse va aller prêcher la bonne parole dans le vaste monde, humblement, avec 150 milliards d'euros en poche.