Mort de Gilles Aillaud Le

Mort Gilles Aillaud Le peintre et scénographe Gilles Aillaud est mort, jeudi 24 mars, à Paris où il était né en 1928, fils de l'architecte et urbaniste Emile Aillaud, l'un des inventeurs du logement social dans la France de l'après-guerre. Tout en peignant un tableau par jour jusqu'en 1945 ­ du moins le raconta-t-il plus tard ­, Gilles Aillaud étudie les lettres, puis la philosophie avec Jean Beaufret pour professeur. Collé au concours de l'Ecole normale supérieure par Maurice Merleau-Ponty en 1949, il se tourne brièvement vers le cinéma et s'établit à Rome où il expose pour la première fois ses toiles dès 1950. De retour à Paris en 1951, il continue à travailler en solitaire, sans chercher à se rapprocher d'aucun courant contemporain, et perfectionne un style figuratif à la fois précis, coloré et léger, tout en découvrant son thème de prédilection, les animaux enfermés dans les cages et enclos des zoos. Sa rencontre et son amitié avec le peintre Eduardo Arroyo et l'écho d'une exposition Galerie Levin en 1963 le font sortir de son isolement. Membre du Salon de la jeune peinture, puis président du Salon en 1965, Gilles Aillaud assigne à la peinture le plus haut des rôles, celui du "dévoilement historique de la vérité" et s'engage dans une lutte idéologique et esthétique sans compromis. Les provocations et les scandales se succèdent : avec Arroyo et Antonio Recalcati, il réalise et expose en 1965 Vivre et laisser mourir ou la Fin tragique de Marcel Duchamp, attaque insolente contre le pop art américain et le nouveau réalisme, mise en scène comme un fait divers : le tabassage à mort d'un vieillard nommé Duchamp par des voyous, les trois auteurs des huit toiles. L'indignation du milieu parisien est véhémente, ce qui n'empêche pas la parution en 1966 de Comment s'en débarrasser ou Un an plus tard, texte polémique qui dénonce le pseudo-engagement et la bonne conscience avant-gardiste qui font croire qu'une révolution artistique pourrait changer la société. La participation d'Aillaud à l'atelier populaire des Beaux-Arts en 1968, l'organisation de la Salle rouge pour le Vietnam cette année-là et celle de l'exposition "Police et culture" en 1969, les créations du Bulletin de la jeune peinture en 1968 et de la revue Rebelote en 1973 avec Arroyo et Pierre Buraglio, le décrochage de son exposition personnelle à l'ARC en 1971 pour protester contre la censure, la publication de son essai Bataille rangée contre l'interprétation de Manet par Georges Bataille en 1973 sont autant de marques de sa colère contre l'époque et son ordre. Pour autant, sa peinture ne concède rien à la propagande politique ou à quelque réalisme socialiste : les bêtes emprisonnées et avilies par l'homme sous couvert d'exotisme ou de science demeurent les héroïnes symboliques de ses compositions, impeccables et accablantes géométries de grilles, de murs, de fosses cimentées et de bassins carrelés. Le sentiment de l'emprisonnement et de l'absurdité y est écrasant. Il ne cesse que plus tard, quand des voyages en Grèce à la fin des années 1970, au Kenya en 1988 et en Egypte en 1992, déterminent une métamorphose : l'espace s'ouvre à l'infini, la lumière et l'eau affluent, les couleurs s'éclaircissent et les animaux enfin libres s'allègent jusqu'à devenir diaphanes. SINGULARITÉ ABSOLUE A l'aquarelle et à l'huile, Aillaud peint alors quelques-uns des plus beaux paysages de la peinture contemporaine, exposés dans de nombreuses galeries. En 1980, l'ARC accueille l'exposition personnelle qui n'avait pas eu lieu en 1970. Une deuxième rétrospective se tient au Musée Reina Sofia à Madrid en 1991, une autre à Monaco en 2001. La cohérence de l'oeuvre et de la pensée y est manifeste, autant que la singularité absolue d'un artiste extérieur aux modes ­ ce que les institutions françaises ont sanctionné en ne l'exposant que fort peu. Il est vrai qu'à son indépendance farouche, le peintre Gilles Aillaud joignait un autre défaut : celui d'exceller aussi dans la scénographie et les décors, la tragédie et l'opéra et de refuser toute spécialisation dans un genre, quel qu'il soit. D'un Brecht monté pour Avignon en 1972 à Monteverdi à Aix et Bernhardt à Bobigny en 2000, l'inventaire des spectacles auxquels il prit une part décisive dit l'importance de sa contribution à l'histoire du théâtre actuel. Les Bacchantes d'Euripide à la Schaubühne de Berlin en 1974 marque le début de sa collaboration et de son amitié avec Klaus Michaël Grüber. Ils mettent en scène Goethe, Shakespeare, Tchekhov, Racine, Büchner ou Kleist. Avec Jean Jourdheuil, il défend Müller et, avec Luc Bondy, Beckett et Handke. Auteur lui-même, Gilles Aillaud donne au théâtre son Vermeer et Spinoza en 1984 et Le Masque de Robespierre en 1996, démontrant qu'il pouvait être aussi bon auteur qu'il fut grand peintre.