Mort de Giancarlo De Carlo

Mort Giancarlo De Carlo est mort, samedi 4 juin, à Milan. Il était âgé de 85 ans. Giancarlo de Carlo était l'une des autorités morales de l'architecture italienne, dont il accompagnait l'histoire depuis plus d'un demi-siècle comme constructeur, enseignant, théoricien et militant. Malgré son français impeccable et son intérêt pour l'Hexagone, il n'avait jamais construit en France. Le public français avait pu découvrir son travail lors d'une exposition au Centre Pompidou, au printemps 2004 (Le Monde du 27 avril 2004). Un travail fait de sensibilité aux sites et aux habitants, nourri d'anarchisme, de rejet du fonctionnalisme et de refus des jeux de pouvoir. Né à Gênes le 12 décembre 1919, Giancarlo De Carlo reçoit d'abord une formation d'ingénieur à Milan. Ce premier moule ne sera pas innocent : l'architecte fera montre d'une attention soutenue au détail technique, aux matériaux, au travail des maçons. Diplômé en 1942, De Carlo est happé par le tourbillon de la seconde guerre mondiale, qui le voit adhérer au Mouvement de l'unité prolétarienne et rejoindre les partisans antifascistes pour former les Brigades Matteotti. Il restera, après la guerre, proche des milieux anarchistes, et ne cachait pas que son architecture était imprégnée de cette "croyance en une liberté active" . En 1949, Giancarlo De Carlo est diplômé d'architecture à Venise. Intellectuel engagé, il développe une pensée critique à l'égard du mouvement moderne et de son rationalisme. Il défend une architecture qui intègre l'échelle de la ville et du territoire, épouse le contexte géographique, historique, sociologique, écoute les attentes des futurs usagers. La rupture avec le style international sera consommée en 1959 : il quitte alors les Congrès internationaux d'architecture moderne (CIAM) et se rapproche du groupe contestataire Team X, qui tente une autre lecture du modernisme. Toute sa vie, Giancarlo De Carlo poursuivra cet engagement humaniste, se tenant à l'écart des querelles de l'architecture de pouvoir et des écoles dogmatiques pour creuser et transmettre son idée. Au sein du Laboratoire international d'architecture et de design urbain (Ilaud) d'abord, qu'il crée en 1976 et anime jusqu'à sa mort. Dans la revue Spazio e societa ("Espace et société" ) ensuite, qu'il dirige pour cent numéros à partir de 1977. Auteur de nombreux ouvrages, De Carlo sera également enseignant à Venise et à Gênes, en Italie ; à Harvard, Yale et Berkeley, aux Etats-Unis. "DÉSALIÉNATION RÉCIPROQUE" Mais contrairement à d'autres ténors de l'"architecture de papier" , qui voit beaucoup d'Italiens se mesurer à coups de parutions, faute de constructions, Giancarlo De Carlo soumet ses convictions à l'épreuve du chantier. Son grand oeuvre, il l'écrit dans les pierres d'Urbino, petite ville Renaissance de la région des Marches, où il est appelé en 1952 pour agrandir l'université. Il y travaille en fait un demi-siècle, modelant la ville strate après strate : il réalise à la périphérie des logements et de généreuses résidences universitaires posées en cascades à flanc de colline ; il insère des facultés dans les bâtiments du XVIIe siècle ; il redessine le plan de la ville, fait dialoguer l'ancien et le moderne, restaure le centre historique et les écuries ducales. L'écoute des habitants qu'il ne cesse de préconiser, De Carlo la met en oeuvre à deux reprises. Pour l'ensemble piétonnier de Terni (Ombrie, 1969), un labyrinthe en béton parcouru de passerelles et de terrasses, et pour le lotissement coloré de Mazzorbo (lagune de Venise, 1985), évocation sans pastiche d'un village de pêcheurs. Ces expériences seront pour lui, dira-t-il, "comme des chocs" . "La participation, c'est une question de désaliénation réciproque. Un architecte doit réviser complètement ses idées au contact des habitants et de la réalité" , expliquait De Carlo au Monde en 2004. Capable de se renouveler avec fantaisie sans imposer une "signature" répétitive, Giancarlo De Carlo transforme l'immense monastère bénédictin de Catane, en Sicile, en université ; il édifie un centre sportif à Sienne (1987), reconstruit le Blue Moon, sur le Lido (1998), termine le centre hospitalier de Mirano, à Venise, et le palais de justice de Pesaro (2000)... En 2004, déjà malade, il travaillait encore sur un projet de logements à Beyrouth, une crèche à Ravenne, un parc à Milan, une opération d'urbanisme à Florence. "L'architecture doit être refondée, soutenait-il. Je suis vieux, mais j'ai encore l'intention de me battre."