Annonce Géologie. Le massif montagneux italien est victime d'éboulements en série. Les Dolomites mitées Eboulements, écroulements, chutes de pierres... Les Dolomites se désagrègent. De Bolzano à Cortina d'Ampezzo, les fascinantes montagnes situées dans le nord-est de l'Italie et dont Le Corbusier disait qu'elles étaient les «plus belles constructions du monde» ont perdu des milliers de tonnes de roches au cours des derniers mois. Au point de pousser les autorités italiennes à multiplier les études pour tenter d'encadrer le phénomène et l'alpiniste Reinhold Messner à lancer un appel urgent à l'Unesco : «Les roches sont de plus en plus friables, il faut davantage de garanties et de protections !» Le 1er juin, c'est l'aiguille de la Tour Tréphor, l'un des cinq pics dominant Cortina, qui s'écroule. Cinquante mètres de montagne disparaissent dans la nuit. Un mois plus tard, sur les hauteurs de Val Gardena, une énorme masse rocheuse cède et s'écrase à deux mille mètres d'altitude. A la mi-juillet, trois éboulements ont lieu coup sur coup emportant notamment un millier de mètres cubes de la montagne Cansless qui se déverse sur le très réputé sentier 13 de la voie haute des Dolomites. «L'homme s'est distrait ; il n'a plus l'âme pour jouir de ces beautés, alors les divinités envoient leurs signaux», met en garde le réalisateur italien amoureux des Dolomites Ermanno Olmi. «Nous sommes dans une phase de changement général des conditions météorologiques. Même le protocole de Kyoto ne pourra pas nous sauver des variations climatiques.» Fréquence. Plus scientifiquement, experts et géologues tentent d'interpréter la situation. Unanimes, ils estiment que l'érosion des Dolomites est un phénomène naturel qui se poursuivra dans les prochains millénaires. Mais la fréquence des chutes les préoccupe. «Le réchauffement climatique est sans doute la cause de la multiplication des éboulements», estime Antonio Galgaro, professeur de géologie appliquée à l'université de Padoue. Les variations de température peuvent être létales pour la montagne. «Le processus est classique, explique-t-il. L'eau pénètre dans la roche à travers les fissures des parois et, à zéro degré, se transforme en glace. Le volume augmente et fait pression sur la montagne. Plus les variations de température sont fréquentes, plus le risque d'écroulement est grand.» D'où l'idée de mieux contrôler les montagnes et de prévenir les risques d'éboulements. Déjà, au pied de certains massifs rocheux autour de Cortina, les autorités locales ont installé depuis plusieurs années des pluviomètres et tout un réseau de capteurs, généralement utilisés dans les zones sismiques, pour mesurer les vibrations de la montagne. «Grâce à ce système, nous pouvons anticiper les coulées de boue, reprend Antonio Galgaro. Nous disposons ainsi de quelques minutes pour avertir la protection civile afin, par exemple, de bloquer certaines routes particulièrement exposées.» L'objectif vise désormais à étendre ce type de contrôles et à introduire de nouvelles techniques de surveillance de la montagne. Depuis août, pour la première fois au monde, les géologues de Padoue effectuent des tests de thermographie à l'aide de photos infrarouges digitales prises au sol et en hélicoptère. «Nous faisons ces photos quotidiennement, matin et soir, sur la montagne Pomagagnon pour obtenir une image en trois dimensions avec la température des parois, explique Antonio Galgaro. Cela nous permet de suivre les différentiels de température. Les montagnes qui refroidissent plus vite sont celles qui sont les plus fracturées et, par conséquent, les plus susceptibles de détachements rocheux.» Les résultats de l'expérience seront disponibles dans deux mois. Système GPS. Parallèlement, une autre étude est menée sur la Tour anglaise, l'une des autres cimes de Cortina d'Ampezzo, particulièrement à risque en raison de sa forte inclinaison et de ses nombreuses fissures. Cette fois, les géologues ont eu l'idée de recourir au système satellitaire GPS pour épier le moindre déplacement de la masse rocheuse. Un seul capteur sera installé, au sommet de la Tour. «C'est le même procédé que pour les voitures, à la différence que pour la montagne la précision doit être millimétrique», souligne Antonio Galgaro. Les données GPS seront croisées avec celles des cinq capteurs sismiques posés sur les points les plus sensibles de la paroi rocheuse. Grâce à ces nouvelles techniques, les géologues devraient disposer de quelques précieuses secondes pour avertir du danger immédiat, via SMS notamment, les alpinistes et les refuges. A plus long terme, la prévision des risques d'écroulement pourrait permettre la consolidation de certains pics présentant un intérêt principalement touristique. «En dépit des coûts, il serait par exemple possible, d'un point de vue technique, de protéger la Tour anglaise», explique Antonio Galgaro. En attendant, Reinhold Messner souhaite que l'inexorable agonie des Dolomites soit préservée du tourisme de masse, des voitures ou du bruit. Et relance sa proposition : «Les Dolomites sont uniques, sublimes et belles comme nulle autre montagne. (...) Elles doivent être inscrites au patrimoine mondial de l'humanité.»