Mort de Françoise Claustre

Mort Françoise Claustre, archéologue Archéologue, directeur de recherche émérite au CNRS, Françoise Claustre est morte à 69 ans, le 3 septembre des suites d'une longue maladie. Ses obsèques ont eu lieu mardi dans l'Ariège, dans la plus stricte intimité. Le nom de Françoise Claustre appartient à la mémoire collective française. Il renvoie à l'enlèvement d'une jeune archéologue française dans un pays africain lointain et mythique pour certains, le Tchad, et à une époque déjà ancienne, le milieu des années 1970, les "années Giscard". Ce fut "l'affaire Claustre". Les prises d'otages n'étaient pas encore un moyen de pression presque banal sur la scène internationale du Proche-Orient à l'Amérique latine. L'enlèvement de la jeune française par des rebelles tchadiens mystérieux devint rapidement une affaire d'Etat en France. Une longue affaire puisque Françoise Claustre restera prisonnière de ses ravisseurs trente-trois mois - plus de 1 000 jours ! - dans le massif désertique du Tibesti, dans le nord du Tchad. L'enlèvement eut lieu le 21 avril 1974 dans la palmeraie de Bardaï, aux alentours de 21 heures, dans l'extrême nord du pays. Françoise Claustre, 35 ans, le regard un peu perdu derrière d'épaisses lunettes, un look de garçon manqué, n'est pas la seule kidnappée ce soir-là. Il y a deux autres Européens envoyés au Tchad dans le cadre de la coopération : un médecin de nationalité allemande, Christophe Staewen, et un coopérant français, Marc Combe. Les ravisseurs sont des rebelles Toubous regroupés au sein d'un mouvement politique et militaire, le Front de libération du Tchad (Frolinat) dirigé par Goukouni Weddeye, le fils d'un juge traditionnel, et Hissène Habré, un révolutionnaire de 33 ans formé en France - le "guérillero Sciences-Po", comme il fut surnommé. Devenus ennemis, les deux hommes se succéderont plus tard à la tête du pays entre 1980 et 1991. Début 1974, le Tchad est indépendant depuis quatorze ans. C'est un pays instable et en proie à une sécheresse sévère. Des rebelles contrôlent la quasi-totalité du nord du pays, en raison de la nature du terrain, mais la capitale, N'Djamena, leur échappe. Plus inquiétant pour eux, leur principal soutien extérieur, la Libye du colonel Kadhafi, qui lorgne sur la frange nord du Tchad, s'est éloignée d'eux. Le "guide de la révolution" s'est rapproché du régime tchadien du président Félix Tombalbaye. L'armement des rebelles s'en ressent. Ils ne disposent que de quelques centaines de vieux fusils anglais et des armes prises à l'adversaire. C'est assez pour faire tenir le nord désertique et montagneux mais insuffisant pour conquérir le pouvoir qu'appuie la France. D'où les enlèvements d'Européens, pour tenter de faire parler de soi, élargir le conflit et, outre de l'argent et des armes, obtenir de la communauté internationale qu'elle exerce des pressions sur le président Tombalbaye pour qu'il négocie avec son opposition armée. Hasard de l'histoire, lorsqu'ils pénètrent dans la palmeraie et ouvrent le feu sur les rares soldats tchadiens présents, les rebelles ignoraient la présence de Françoise Claustre, tout comme celle de Marc Combe, le jeune fonctionnaire. Ils les embarquent dans des véhicules tout-terrain avec le médecin allemand, le docteur Staewen - dont l'épouse sera tuée au cours de la fusillade ainsi que deux militaires tchadiens. Très vite, l'Allemagne cède aux exigences des ravisseurs et obtient deux mois plus tard - moyennant le versement d'une rançon - la libération du docteur Staewen. En France, le contexte est peu propice à des décisions énergiques. L'enlèvement a eu lieu trois semaines à peine après la disparition du président Georges Pompidou. La France est en campagne présidentielle, et l'Etat aux abonnés absents. Président du Sénat, Alain Poher assure laborieusement l'intérim. Aux affaires étrangères, Michel Jobert se contente d'expédier les affaires courantes. Il faudra attendre un mois avant que Paris n'envoie à Bardaï un premier négociateur, Robert Puissant. L'EXÉCUTION DE PIERRE GALOPIN Il effectuera six déplacements au Tchad. Sans rien obtenir. Paris le remplace par un militaire, le commandant Pierre Galopin, longtemps coopérant à la tête de la Garde nationale tchadienne puis au sein des services de renseignements de l'ancienne colonie française. Il a été choisi avec le feu vert du gouvernement de N'Djamena qui tient à garder la haute main sur les négociations. Au terme de sa quatrième visite aux rebelles, la situation dérape : l'émissaire français, à cause de ses états de service, à son tour, est fait prisonnier, jugé ensuite par un "tribunal révolutionnaire" et condamné à mort. Il est exécuté en avril 1975. Très peu de temps après, l'autre otage, Marc Combe, parvient à s'évader. Ne reste plus que Françoise Claustre dont le mari, Pierre Claustre, lui aussi coopérant au Tchad, remue ciel et terre pour obtenir la libération de son épouse. L'homme prend des risques insensés. Il finit par rejoindre Françoise Claustre comme otage des rebelles toubous. La suite est à peine moins rocambolesque : les rebelles fixent un ultimatum et menacent d'exécuter le couple le 23 septembre 1975. La menace est prise au sérieux et une rançon est versée qui ne mettra pourtant pas un point final à l'affaire car les deux chefs rebelles se sont brouillés... Finalement, "l'affaire Claustre" connaîtra son épilogue le 30 janvier 1977 jour de la libération des deux époux à Tripoli, en Libye où le premier ministre, Jacques Chirac, s'était rendu. Sans l'entremise du colonel Kadhafi elle n'aurait sans doute pas eu lieu. C'est la fin d'un calvaire pour Françoise Claustre. La jeune femme s'adresse brièvement à la presse dans la capitale libyenne avant de retourner dans l'anonymat et à ses travaux d'archéologue laissant à son époux le soin de régler quelques comptes dans un livre (L'Affaire Claustre, autopsie d'une affaire d'otages, éd. Karthala). "Mon seul souci était de retourner dans l'anonymat (...) pour retrouver mon équilibre (...) Je n'ai aucune envie de m'exprimer, de me raconter. Je n'en éprouve aucun besoin. Au contraire, je ne tiens pas du tout à ce qu'on me rappelle cette période... difficile", confiera-t-elle, quelques années plus tard à l'hebdomadaire Paris Match. Pour la faire sortir de son silence, il avait fallu la sortie en 1989, d'un film de Raymond Depardon, La Captive du désert. Le photographe avait interviewé Françoise Claustre en captivité et sachant cela, il était tentant de voir dans le personnage de Sandrine Bonnaire, l'héroïne du film, la femme blanche marchant au milieu d'une caravane, une évocation de la prisonnière Françoise Claustre. "Ça ne peut être l'histoire de Françoise Claustre", conclura-t-elle. Elle parlait d'or.