Annonce François Pinault renonce à implanter sa fondation sur l'île Seguin, ancien bastion des usines RenaultLe bâtiment de verre imaginé par l'architecte Tadao Ando ne verra donc pas le jour à la pointe de l'île Seguin. François Pinault y renonce. Le centre d'art contemporain qu'il avait prévu d'installer ici, à Boulogne-Billancourt, ne sera pas construit. Ses collections seront finalement logées à Venise, au Palazzo Grassi, sur les bords du Grand Canal. Avec, peut-être, des antennes dans une métropole régionale ou dans une capitale européenne. On parle de Lille et de Berlin. Pour l'Ouest parisien, le coup est rude. Mais ce retournement, prévisible depuis quelques semaines, n'est que l'ultime épisode de la saga de l'île Seguin riche en péripéties.En 1992,les dernières voitures sortent des chaînes de l'usine Renault, installée notamment sur l'île, fleuron symbolique de l'empire automobile longtemps entre les mains de l'Etat. Tout en laissant passer la crise de l'immobilier, qui avait vu s'effondrer le prix du foncier, la firme cherche à vendre ses quelque 70 hectares de terrain, mais doit attendre que la commune de Boulogne-Billancourt révise son plan d'occupation des sols (POS).En attendant, tout le monde s'interroge sur le sort de la forteresse ouvrière dont le symbole est ce paquebot immobile amarré au milieu de la Seine. L'Etat lance des missions d'études. On se souvient de celle de Jean-Eudes Roullier diligentée par Michel Rocard, alors à Matignon. De son côté, la société Renault s'adresse directement à un certain nombre d'architectes de renom (dont Renzo Piano, Reichen et Robert, Christian de Portzamparc, Bernard Tschumi), qui proposent des solutions pour l'île. La municipalité n'est pas en reste et planche de son côté sur des schémas d'urbanisme ce qui provoque des tensions parfois vives au sein de la municipalité.Tandis que l'UDF Jean-Pierre Fourcade succède, en 1995, au RPR Paul Graziani à la tête de la mairie de Boulogne-Billancourt, l'Etat renonce à prendre en main l'opération Renault. Et Renault abandonne l'idée de réaliser elle-même une opération immobilière. Communes riveraines, département et conseil régional se regroupent alors dans la SAEM Val-de-Seine Aménagement, afin de conduire les grandes lignes d'un projet.En 1997, le maire de Boulogne lance une consultation auprès d'architectes-urbanistes réputés. En 1998, la préférence des élus va au projet de Bruno Fortier. La pièce maîtresse est un vaste parc implanté, rive gauche, sur les terrains Renault. Le traitement de l'île Seguin est plus flou.Ce parti pris indigne l'architecte Jean Nouvel, qui, le 6 mars 1999, signe dans Le Monde un point de vue au titre éloquent : "Boulogne assassine Billancourt". Devant l'ampleur de la polémique, M. Fourcade décide d'abandonner le projet Fortier et de reprendre le dossier à zéro. Il recrute également un cabinet d'assistance à la maîtrise d'ouvrage. Jean-Louis Subileau prendra la direction générale déléguée de la SAEM.Néanmoins, la situation n'avance guère quand, le 4 septembre 2000, François Pinault annonce, avec l'accord de Louis Schweitzer, président de Renault, et de Jean-Pierre Fourcade son intention d'installer une fondation dans l'île Seguin. Il s'agit de construire à la pointe aval de l'île un centre d'art contemporain, comparable, par la taille, au Centre Pompidou. Une partie de la collection de François Pinault y serait installée à côté de salles d'expositions temporaires. L'ouverture du bâtiment est annoncée pour 2005.UNE CITÉ SCIENTIFIQUED'un seul coup, l'aménagement de l'île va naturellement s'articuler autour de cette locomotive culturelle dont le coût est estimé à 150 millions d'euros. Pour répondre à la fondation culturelle, en restant dans un registre voisin, la municipalité entend implanter sur Seguin un pôle scientifique. Le tout devant être complété par des hôtels, des résidences et un parc. Après avoir conseillé le maire de Boulogne, François Barré, ex-président du Centre Pompidou et ancien responsable de la direction de l'architecture et du patrimoine au ministère de la culture, est recruté par l'homme d'affaires. Une nouvelle consultation d'architectes est lancée sous sa houlette pour matérialiser le siège de la fondation. C'est sans surprise que, parmi six candidats, l'architecte japonais Tadao Ando, poulain officiel de François Pinault, est retenu, le 25 octobre 2001.La fondation peut alors lancer des études concrètes sous la direction de Marc Desportes. Le projet est précisé, amendé. L'édifice (300 m de long, 130 m dans sa plus grande largeur, 28 m de haut, 33 000 m2) occupera un tiers de l'île. Les collections permanentes se déploieront sur près de 15 000 m2 et 7 000 m2 seront consacrées aux expositions temporaires.Des matériaux sont testés : carapace de verre sur une ossature de béton. Un architecte français, Michel Macary, qui avait l'expérience du Grand Louvre et du Stade de France, est associé à Tadao Ando. Un bureau d'études, la Setec, est approché. Et 20 millions d'euros seront dépensés par François Pinault quand, en novembre 2003, un permis de construire est déposé. Avec pour objectif de pouvoir accueillir le public en 2007.Pendant ce temps-là, la municipalité de Boulogne-Billancourt est contrainte par la loi de transformer son ancien POS en plan local d'urbanisme (PLU). Le nouveau PLU est voté après des séances houleuses par le conseil municipal, le 8 avril 2004. De son côté, la SAEM explore des pistes pour implanter sur Seguin une cité scientifique. Des contacts poussés sont notamment pris avec l'Institut du Cancer et l'Inserm. Mais rien n'est signé. Il est également prévu d'installer des galeries et des résidences d'artistes face à la fondation. La présence de celle-ci est propice à l'implantation d'un hôtel. Des chaînes hôtelières déposent leurs candidatures.Mais, quand, en septembre 2004, le permis de construire de la fondation est délivré, François Pinault se plaint ouvertement des lenteurs de la municipalité. Ce qui ne l'empêche pas de recruter Philippe Vergne, conservateur au Walker Art Center de Minneapolis (Etats-Unis), nommé directeur de la Fondation François-Pinault pour l'art contemporain. Ainsi que Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la culture, qui se voit confier une mission de conseil en vue de mieux définir le cadre statutaire et économique de l'établissement privé. Enfin, une promesse de vente est signée entre Renault et l'homme d'affaires : elle concerne les terrains où la fondation doit s'implanter. Le prix tournerait autour de 3 millions d'euros. Mais cette promesse est assortie d'une clause : aucun recours ne doit venir perturber les travaux.La SAEM se sent prise entre deux feux. Elle entend les récriminations de François Pinault, qui redoute de se retrouver face à un chantier inachevé, sur le reste de l'île, lors de l'ouverture de sa fondation. Elle craint les réactions d'associations qui accusent la municipalité de brader la mémoire ouvrière de l'ex-usine Renault. Aussi lance-t-elle un concours dont le but est triple : rappeler le profil de l'ancien "krak des ouvriers" , consolider les berges, proposer une alternative à un chantier inachevé.En octobre 2004, le projet d'ARM Architecture est retenu. Les lauréats proposent une promenade suspendue autour de l'île, accrochée à une résille métallique derrière laquelle les bâtiments à venir pourront se construire à leur rythme. Le résultat ne convainc pas François Pinault. Pourtant, à la fin de 2004, la destruction de l'ancienne usine est entamée, suivie par une dépollution des sols et d'un renforcement des berges. En outre, l'architecte Marc Barani gagne le concours de la passerelle qui doit relier directement la fondation à la rive droite une demande de François Pinault. Tout semble donc s'arranger, en dépit des retards accumulés l'ouverture de la fondation ne cesse de s'éloigner, on parle désormais de l'horizon 2008 quand, le 24 décembre 2004, deux associations, Environnement 92 et Action Environnement Boulogne-Billancourt (AEBB), bientôt suivies par Val-de-Seine Vert, déposent un recours devant le tribunal administratif de Versailles contre le PLU voté par le conseil municipal. L'objet du recours ne concerne pas le projet de M. Pinault, mais la surdensification de la ville entraînée par l'adoption de ce PLU.Le 28 février, la vente du terrain Renault est annulée : François Pinault a fait jouer la clause suspensive prévoyant que le plan local d'urbanisme (PLU) doit être purgé de tout recours suspensif avant la vente. Le 22 avril, les trois associations retirent leur recours. Mais, six jours plus tard, le 28 avril, François Pinault fait savoir qu'il rachète le Palazzo Grassi, l'ancienne vitrine culturelle du groupe Fiat, pour la somme de 29 millions d'euros. A partir de ce moment-là le sort de la Fondation Pinault sur l'île Seguin est suspendu. Le 9 mai, l'homme d'affaires annonce son repli sur Venise.
