Annonce Florence et HusseinLes dernières heures d'une vie d'otage / De la sortie de leur lieu de détention au décollage de Bagdad, le récit de la libération de notre envoyée spéciale et son guide.Le samedi 11 juin, vers 11 heures du matin, la porte de la cave s'ouvre et un ordre fuse. «Numéro 5 et numéro 6, toilette.» Au troisième mois de leur détention, Florence Aubenas et Hussein Hanoun al-Saadi se sont vu attribuer un matricule par leurs ravisseurs comme dans un vrai pénitencier. Synonyme de très brèves sorties, la formule, toujours la même, recouvre à chaque fois une réalité différente. Cette fois, en haut des marches, le garde déclare : «Today, Paris.» Il les emmène tous les deux dans une pièce, oblige Hussein à revêtir une tunique blanche. Florence endosse la tenue traditionnelle des femmes en Irak, la grande robe et le voile noir. Dans quelques heures, ils seront libres.«Ils m'ont offert deux bagues et une bouteille de parfum»«Ils ont sorti une caisse dans laquelle étaient rangés des sachets en plastique comme à la consigne d'une prison. Dans l'un il y avait ma montre et mes boucles d'oreilles, dans l'autre la bague et la montre d'Hussein. Ils m'ont rendu mon sac à main avec tous mes papiers, l'argent dans mon portefeuille. Un garde m'a dit: "Nous avons préparé des cadeaux pour toi." Ils m'ont offert deux bagues et une bouteille de parfum. Nous qui avions vécu accroupis et entravés dans le noir pendant des semaines, on nous a tendu deux chaises. C'était la première fois que je m'asseyais depuis le 5 janvier. On nous a servi du thé comme à des invités puis du poulet rôti», racontera Florence à son retour.Ils ont attendu ce moment pendant 157 jours. Depuis le 1er mars, les geôliers entretiennent régulièrement cet espoir. «On me disait : "Vous êtes libérés dans une semaine." C'est quelque chose que j'avais en permanence dans la tête et qui était sans cesse repoussé, inaccessible», poursuit Florence. Neuf jours plus tôt, ce rêve, maintes fois brisé, a commencé à prendre corps dans son esprit. Les ravisseurs lui ont fait faire avec Hussein une vidéo, le principal mode de communication vers l'extérieur des groupes armés.Un passeport pour quitter l'Irak en toute légalitéDu côté français, tout est prêt pour les accueillir. L'ambassadeur de France à Bagdad, Bernard Bajolet, a reçu ses dernières instructions de la bouche même de Jacques Chirac le 16 mai, lors d'un séjour à Paris. Pour accélérer son retour en Irak, un avion spécial a été mis à sa disposition. Il est revenu le 30 mai avec des «renforts». Sur le terrain, l'opération va mobiliser une vingtaine de personnes. Un passeport a même été établi au nom de Florence Aubenas pour qu'elle puisse quitter le territoire irakien en toute légalité. Dans cette chorégraphie très minutieuse, des interventions de religieux ont été sollicitées par les autorités françaises. Tour à tour le 5 juin, le cheikh Abdullah Ben Biyeha, un haut dignitaire saoudien, très respecté, et Dalil Boubaker, recteur de la Grande Mosquée de Paris, ont lancé des appels à la libération des otages. Des suppliques relayées par les chaînes satellitaires arabes.«C'est fini, c'est fini»Avant de les emmener vers le lieu de leur délivrance, les ravisseurs expliquent à Florence et Hussein comment ils comptent franchir les check-points américains et irakiens nombreux sur la route. «Toi, tu es journaliste, tu te présenteras comme cela, tu montreras tes vrais papiers, Hussein est ton traducteur, ce sera son rôle. Le chauffeur sera le chauffeur. Vous serez à visage découvert.» Ils les soumettent ensuite à un dernier enregistrement. Pour donner le signal du départ, le groupe a convenu avec l'ambassade de France de diffuser par téléphone une cassette audio avec un mot de passe. Afin d'être sûrs de sa «fraîcheur», les Français ont dicté le texte peu de temps avant. A l'écoute du message, ils sont rassurés. A son ton enjoué, Florence semble en bonne forme.La voiture, une vieille guimbarde, arrive vers 4 heures. Florence proteste quand on lui met un bandeau sous le voile. «Mais le plan disait que l'on serait à visage découvert?» Réponse des gardes : «Non, plus tard, quand on changera de voiture.» Lorsqu'ils montent dans un monospace, après un court trajet, le scénario a encore évolué. Elle doit garder son étoffe : «Finalement, tu seras la femme du chauffeur. Si quelqu'un te parle, tu te mets à pleurer, on dira que tu es en dépression.» Elle sent la voiture ralentir à chaque barre sans être contrôlée, puis s'arrêter. Des bras la tirent dehors, lui arrachent son voile. C'est un officier de la DGSE en poste en Bagdad. Il la fait courir jusqu'à un autre véhicule muni d'une plaque diplomatique. Une fois à bord, on lui répète: «C'est fini, c'est fini.»Tempête de sable sur l'aéroport de BagdadLes agents français ont tourné dans la capitale irakienne pendant deux heures avant de connaître le véritable lieu du rendez-vous. Un vrai jeu de piste qui les a entraînés dans des endroits «extrêmement périlleux». Un parcours de 80 km à travers des quartiers où la police irakienne ose à peine s'aventurer. Lors de la libération de Christian Chesnot et Georges Malbrunot, ils avaient pu reconnaître à l'avance le terrain. Pas cette fois. Jacques Chirac téléphone aussitôt d'abord à la famille Aubenas, puis à Serge July, directeur de Libération. La nouvelle doit rester secrète tant que Florence n'aura pas quitté le sol irakien.Le dimanche matin, accompagnée de Bernard Bajolet, elle prend la route de l'aéroport de Bagdad, cible continuelle d'attentats. Tous les membres du convoi ont revêtu des gilets pare-balles. Trois mois plus tôt, sur cette même quatre-voies, l'agent secret italien Nicola Calipari, qui emmenait l'ex-otage Giuliana Sgrena vers son avion, a été tué en pleine nuit par des soldats américains. Afin d'éviter tout incident, Bernard Bajolet a tenu à faire le trajet de jour et a fourni à l'ambassade américaine tous les détails sur son déplacement, mais sans signaler la présence à bord de sa voiture de Florence Aubenas. Il a décidé de maintenir le plan prévu malgré la fermeture depuis la veille de l'aéroport de Bagdad pour cause de tempête de sable. Le salon d'honneur est plein à craquer de voyageurs qui ont préféré coucher sur place plutôt que retourner chez eux et devoir reprendre la route.«En route pour la France»En dépit des intempéries, l'avion Hercules C-130 utilisé pour les opérations spéciales et qui doit embarquer Florence a quand même pris la direction de l'Irak. La tour de contrôle de l'aéroport de Bagdad lui refuse dans un premier temps l'atterrissage. Il tourne désespérément au-dessus des pistes. Bernard Bajolet apprend des pilotes avec qui il est en contact constant qu'ils ne disposent plus que de trente minutes de carburant. Un temps insuffisant pour regagner la Jordanie. Il tente de convaincre un responsable irakien qui commence à lui parler de sa soeur mariée à un Algérien, puis finit par céder à l'annonce que l'appareil risque la panne sèche. L'avion parvient à se poser malgré une visibilité d'à peine deux cents mètres. Lorsqu'il redécolle, l'ambassadeur de France prévient le président irakien, Jalal Talabani, qui le félicite. A Paris, le Quai d'Orsay sort enfin son communiqué: Florence Aubenas est «en route pour la France». Hussein Hanoun al-Saadi est resté en Irak auprès de sa famille.
