Annonce Feu vert pour les cellules souches Tout sera bientôt prêt pour que les biologistes français puissent mener des recherches à partir de lignées cellulaires embryonnaires humaines. François Jacob, 84 ans, en est intimement convaincu : les cellules dites "souches", qui peuvent être cultivées de manière indéfinie et capables de donner naissance à l'ensemble des tissus et des organes, constituent l'un des plus précieux outils de la biologie moderne. Pour le lauréat du prix Nobel de médecine et de physiologie 1965, qui présidait l'ouverture de la conférence internationale organisée sur ce thème les 9 et 10 décembre à l'Institut Pasteur de Paris, il ne fait aucun doute que l'étude des cellules souches embryonnaires humaines ouvrira la voie à une meilleure compréhension du vivant, ainsi, peut-être, qu'à des possibilités de correction des processus pathologiques. Pour l'heure, on assiste, comme en ont témoigné les nombreuses communications faites lors de la conférence de l'Institut Pasteur, au développement rapide d'une nouvelle branche de la biologie ; une discipline qui pourrait donner naissance à une médecine régénératrice, même si personne ne se hasarde encore à prédire dans quels délais. Aujourd'hui, quelques dizaines d'équipes de biologistes dans le monde travaillent de manière intensive sur les cellules souches. Tout indique que les progrès accomplis dans ce domaine sont très rapides. Une future histoire des sciences dira la part qui reviendra, dans la construction de cette discipline, à chaque laboratoire. A celui dirigé par Ali H. Brivanlou (université Rockefeller, New York), comme à celui d'Austin Smith (université d'Edimbourg) qui, dès le début des années 1980, se sont intéressés à l'apport des cellules souches à la compréhension du développement embryonnaire. La découverte de l'existence de cellules souches chez des embryons de souris et de la possibilité de cultiver ces cellules in vitro - résultat obtenu en 1981 - a marqué le véritable départ de ce champ d'exploration biologique. Par la suite, le même résultat a été obtenu chez d'autres mammifères, comme le lapin, la vache et le porc. Avec la démonstration, apportée en 1998, que ces cellules existaient dans l'espèce humaine et qu'elles pouvaient aussi être cultivées, un deuxième cercle s'est constitué autour d'un nombre croissant d'équipes de biologistes cellulaires et moléculaires. Leur objectif ? Trouver de quelle manière on peut guider la transformation de ces cellules souches dans tel ou tel tissu qui les intéresse. Un troisième cercle, en cours de création, rassemble les chercheurs militant pour l'utilisation de ces cellules à des fins thérapeutiques. La recherche sur les cellules souches humaines se divise en deux grands secteurs selon que les travaux portent sur des cellules provenant d'un organisme adulte ou d'un embryon. Si aucune contrainte ne pèse sur les premières, il n'en va pas de même pour les secondes. Certains pays, comme l'Allemagne, les interdisent pour des raisons éthiques dans la mesure où ils imposent, en préalable, la destruction des embryons. Les biologistes ont, ces dernières années, eu la surprise de découvrir que l'organisme humain contenait de multiples gisements de cellules souches, notamment dans des tissus qui ont pour propriété de renouveler très rapidement les cellules qui les composent. C'est notamment le cas de la peau, du tube digestif ou encore de la moelle osseuse. Mais des cellules souches ont également été découvertes dans d'autres organes, et la question n'est pas encore tranchée de savoir si elles participent ou non à une activité de renouvellement cellulaire. Cette question se pose tout particulièrement pour le cerveau, au sein duquel la greffe de cellules souches - ou l'activation de ces dernières - pourrait permettre de lutter contre les processus neurodégénératifs, voire, comme l'a envisagé Olle Lindvall (université de Lund, Suède) lors de la conférence de l'Institut Pasteur, contre l'ensemble des lésions cérébrales. L'une des questions majeures soulevées avant le passage aux premiers essais cliniques sur l'homme concerne les conditions dans lesquelles sont aujourd'hui cultivées les cellules souches embryonnaires. Pour maintenir en vie les quelques centaines de lignées existantes - qui font actuellement l'objet des premières entreprises de recensement exhaustif -, les biologistes n'ont pas trouvé d'autre solution que d'avoir recours à des éléments d'origine animale (fibroblastes de souris et sérum de veau fœtal), ce qui, en pratique, interdit de les utiliser chez l'homme pour des raisons de sécurité sanitaire. Les principales équipes impliquées dans la recherche sur les cellules souches à travers le monde commencent, comme l'a expliqué à Paris Outi Hovatta (Institut Karolinska, Stockholm), à définir les futures règles des bonnes pratiques médicales : qu'il s'agisse des conditions de culture, d'identification cellulaire ou de traçabilité. Les mêmes équipes travaillent simultanément à la recherche des conditions pour que ces cellules se différencient vers tel ou tel type de tissu. "Il s'agit de trouver les "recettes de cuisine" que la nature elle-même emploie pour faire passer une cellule d'un état indifférencié à une spécialisation très pointue, résume le professeur Marc Peschanski, directeur de l'unité neuroplasticité et thérapeutique de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale. C'est une séquence d'actions chimiques et, parfois, mécaniques ou métaboliques, qu'il nous faut retrouver, et ce avec son calendrier précis." Enfin, nombre de communications scientifiques faites lors de la conférence organisée à l'Institut Pasteur ont montré que les mêmes équipes travaillaient, en même temps, au décryptage des bases moléculaires, qui permettra de comprendre pourquoi les cellules souches sont effectivement dotées d'une plasticité qu'elles perdent irrémédiablement en se différenciant. En langue anglaise, on parle de stemness. Les Français n'ont, pour l'heure pas d'autre mot que celui, fort disgracieux, de "souchitude". "Depuis qu'elle existe, la biologie n'a cessé de découper le vivant, d'en étudier les structures et les fonctions jusqu'au niveau le plus fin, le plus intime, conclut le professeur François Jacob. Nous vivons, aujourd'hui, avec les cellules souches, le début d'une ère nouvelle, pour reconstruire les structures du vivant, et toujours afin de mieux le comprendre." Jean-Yves Nau Droit et éthique des chercheurs En France, la révision des lois de bioéthique de 1994 a vu le législateur accorder aux biologistes qui le souhaitent la possibilité de mener des recherches sur des embryons humains. Jean-François Mattei, alors ministre de la santé du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, a toutefois obtenu du Parlement que cette possibilité ne soit accordée qu'à titre "exceptionnel et dérogatoire" durant une période de cinq ans. Plus précisément, la loi dispose que "des recherches peuvent être autorisées sur l'embryon et les cellules embryonnaires lorsqu'elles sont susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs". En pratique, ces recherches ne pourront être menées que dans des laboratoires agréés, et après avis favorable de la future Agence de la biomédecine. Six mois avant la fin de ces cinq ans, cette agence et l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques devront conjointement établir un rapport d'évaluation des travaux réalisés dans ce domaine. De leurs conclusions dépendra la prolongation, ou non, de l'autorisation accordée par le législateur en 2004.