Mort de Fei Xiaotong
Mort Fei Xiaotong, patriarche des sciences sociales en ChineLe sociologue et anthropologue chinois Fei Xiaotong est mort, dimanche 24 avril, à Pékin. Il était âgé de 95 ans.Il incarnait à la fois l'éclat de l'école chinoise de sociologie et d'anthropologie et, quoique de manière ambiguë, le destin des intellectuels libéraux au XXe siècle.Né en 1910 près de Suzhou, dans une famille de la petite gentry, Fei Xiaotong étudie à Pékin la sociologie puis l'anthropologie, avant de faire son doctorat à Londres sous la direction du maître du fonctionnalisme, Bronislaw Malinowski.Il illustre d'emblée ce qui est exemplaire dans l'école chinoise qui s'affirme peu à peu avec éclat : la capacité de conjuguer l'étude de l'autre, par des enquêtes ethnographiques sur des populations non-Han (les Yao de la province du Guangxi) et l'étude de soi, par l'analyse sociologique de communautés chinoises.Sa thèse, qui porte sur son village natal, est publiée en 1939, sous le titre Peasant Life in China, avec une préface louangeuse de Malinowski, qui y voit l'application féconde des méthodes ethnologiques à des sociétés modernes.La période de la guerre civile et de lutte contre le Japon voit Fei Xiaotong se replier au Yunnan et lui permet de compléter son enquête sur la Chine des confins (Earthbound China, 1945). Plusieurs voyages aux Etats-Unis lui font nouer des amitiés durables et le mettent sur la voie d'un comparatisme inspiré du culturalisme américain.Petit homme rond et volubile, animé d'une énergie débordante, Fei Xiaotong est l'un des intellectuels en vue de la Ligue démocratique, attachée à une troisième voie libérale et moderniste.Le régime maoïste bouleverse durablement cette double activité scientifique et politique. La sociologie et l'ethnologie étant supprimée comme sciences bourgeoises en 1952, Fei Xiaotong, comme nombre de ses collègues, doit faire son autocritique et se voit affecté à "l'étude des nationalités" , nouvelle discipline conjuguant la science et l'idéologie pour mettre en oeuvre la politique officielle à l'égard des populations allogènes.Il connaît une nouvelle renommée en 1957, quand, abusé par le slogan libéral des "Cent fleurs", il célèbre le "printemps des intellectuels" et, retournant dans son village natal, fait publiquement la critique de la politique communiste à l'égard des campagnes.ACCUSÉ PAR MAOPersonnellement accusé par Mao Zedong, Fei Xiaotong disparaît dès lors, avant de réapparaître dans les années 1980, lors de la politique de réforme. Il fait désormais figure de patriarche des sciences sociales en Chine, et, avec le soutien des autorités, se consacre à la formation d'une nouvelle génération de sociologues et d'anthropologues, tout en multipliant les enquêtes de terrain au travers du pays.En définitive, Fei Xiaotong a été fidèle à une inspiration apprise auprès de son maître Malinowski, mais repensée en fonction des nécessités d'une Chine à la fois bouleversée et progressivement isolée du monde extérieur. Son fonctionnalisme, selon lequel les institutions culturelles doivent s'adapter à des besoins nouveaux, en a fait un partisan d'une sociologie appliquée, prête à satisfaire des aspirations diverses, depuis le social engineering d'inspiration libérale des années 1930-1940 jusqu'à la mise en oeuvre active de politiques officielles sous le com- munisme, qu'il s'agisse de la politique des nationalités ou de la réforme économique.Couvert d'honneurs par les autorités (il était vice-président de la Conférence consultative politique), Fei Xiaotong s'est tenu en retrait du mouvement démocratique des années 1980. Ayant ainsi perdu son ancienne aura politique, il aura néanmoins contribué à la renaissance des sciences sociales en Chine, qui s'affirme aujourd'hui sous nos yeux.