Exposition EXPOSITION Au Palais des beaux-arts de Lille, l'éloge d'un des plus célèbres bâtisseurs français actuels Portzamparc, l'architecte et l'urbaniste A gauche, Portzamparc l'inventeur de monuments. A droite, Portzamparc le créateur de villes. Entre les deux, comme un arbitre scrutant la rencontre du haut de sa chaise, Portzamparc l'édificateur de tours. Lille, qui fut cette année, et pour quelques jours encore donc, «capitale européenne de la culture», a ainsi décidé d'inviter pour incarner l'art de bâtir au XXIe siècle trois personnalités mais un seul homme. Jusqu'au 10 janvier prochain, le Palais des beaux-arts célèbre ainsi Christian de Portzamparc à l'occasion de l'exposition «Pluriel et Singulier». «Pluriel comme tout ce qui fait la ville ; Singulier, comme l'architecture et plus précisément celle qui a un rôle exceptionnel», traduit d'emblée Christian de Portzamparc. «Singulier» parle donc du personnage que l'on connaît – ou croit connaître. Car voici sans doute, avec Jean Nouvel, l'architecte contemporain français le plus célèbre. Comme pour une star, on lui sait des légendes, des hauts faits et des titres de gloire. Christian de Portzamparc est né en 1944 à Casablanca. De lui, il est dit qu'il gagnait déjà à dix ans le premier prix d'un concours de châteaux de sable sur une plage espagnole. On évoque rarement son nom sans rappeler qu'il est le seul Français à avoir reçu le prix Pritzker, ce qui est à l'architecture à peu de choses près ce qu'est le Nobel à la littérature. Et quasi automatiquement on l'associe à de jolies images de la Cité de la musique de la Villette à Paris. A Lille, justement, il n'est pas beaucoup question de la Villette. L'homme a bien d'autres bâtiments d'exception à présenter, de ces pièces si uniques qu'elles en deviennent des points de repère, des monuments. Il les exhibe en maquettes dressées sur de hauts présentoirs, presque des piédestaux. «Une exposition n'est pas un livre. Se contenter de dessins et de coupes serait ennuyeux. D'où ces projections et ces maquettes et si ces dernières sont si hautes, c'est parce que j'essaye de faire ressentir ce que ça pourrait être», explique Christian de Portzamparc. C'est ainsi que le visiteur découvre cette autre Cité de la musique, gigantesque, qu'il a imaginée pour Rio. La tête à hauteur de terrasse, il se glis se entre les lar ges ailerons de béton qui portent l'édifice, puis remonte pour déambuler dans les 90 000 m2 d'équipements, entre la salle philharmonique, cette autre dédiée à la musique de chambre, l'école de musique, les espaces de répétition... Il n'est pas devant une grande maquette blanche, il est dans l'édifice. Et l'on se promène ainsi d'une grande bibliothèque aquarium qui n'existera, hélas, jamais au Québec, à la salle de concerts Grande Duchesse Joséphine Charlotte à Luxembourg, qui se voile derrière un grand rideau de 827 colonnes. On comprend là la fascination de l'homme pour l'ellipse. On finit même par se demander devant les larges échancrures du béton ou les transparences des pans vitrés si Christian de Portzamparc apprécie vraiment les murs. «Mais j'aime les murs !» s'exclame-t-il. Pourtant le même s'empare de cette phrase de Lao-Tseu : «Ma maison, ce n'est pas le mur, ce n'est pas le sol, ce n'est pas le toit, c'est le vide entre ces éléments, parce que c'est là que j'habite.» La présentation lilloise aurait donc pu en rester là, au geste d'artiste, à l'élégance des édifices. Il était facile de se cantonner au «glamour», comme l'architecte qualifie lui même sa discipline. Mais il lui aurait fallu gommer tout le pan de son travail sur les villes. Et celui qui se verra remettre ce mois-ci le Grand prix de l'urbanisme ne pouvait sans doute s'y résoudre. Ce n'est pourtant pas chose aisée que de parler d'organisation citadine, tout en règlements et en formalités techniques. Mais toujours avec ses grandes maquettes et ses textes limpides, l'exposition permet au visiteur de tout apprendre de «l'îlot ouvert», la principale invention de Portzamparc en matière d'urbanisme. Puisqu'il n'était plus question de faire des rues couloirs, corsetées par des rangées ininterrompues de façades, mais que la ville moderne, totalement éclatée, avait montré ses limites, Christian de Portzamparc imagina en effet de renouer avec le principe de la rue mais de la ponctuer d'immeubles séparés, des bâtiments aux quatre faces libres, baignées de lumière et bordées de multiples occasions de promenades et de rencontres. Il inventa la formule en 1975, pour l'ensemble de logements des Hautes-Formes à Paris, il l'utilise encore aujourd'hui à Pékin. Alors entre ce «pluriel» et le «singulier», le visiteur finit par se dire que Christian de Portzamparc a deux métiers. Ou du moins qu'il arrive à accorder deux professions dont on dit parfois qu'elles s'observent d'un oeil méfiant. «Je suis très soucieux de me dire qu'il existe un vrai lien entre les deux, que les architectes devraient être plus urbanistes et que les urbanistes devraient plus se préoccuper d'architecture», remarque-t-il.Et de prouver, via l'exposition, qu'il existe une terre de réconciliation, celle dont on fait des tours. Entre ses démonstrations d'architecture et d'urbanisme, Christian de Portzamparc a en effet dressé les modèles de ses édifices épris de hauteurs, telle la tour LVMH de New York ou le L majuscule du Crédit lyonnais à Lille. Bâtis, à venir ou seulement rêvés, légers ou imposants, anguleux, arrondis, trapus ou aiguisés comme des lames, ils ne peuvent être «beaux que si on les prépare par un bon urbanisme au sol», estime-t-il. Il embraye par cette question d'organisation devenue cruciale : «Les tours permettent de libérer de l'espace. Je trouve que les villes européennes auraient besoin à certains endroits de monter un peu.» Et le voilà à nouveau en train de parler esthétique et organisation. Architecture et urbanisme.l «Portzamparc, Pluriel et Singulier» jusqu'au 10 janvier au palais des beaux-arts de Lille, Rens. : www.lille2004.com.
