Exposition EXPOSITION A Caen, le Musée de Normandie présente une dizaine de tapisseries de choeurs du Moyen Âge finissant La grande parade des saints Elles sont saines et leurs couleurs sont fraîches comme si elles avaient été tissées d'hier. Et pour cause. Elles demeurent roulées dans des sacristies ou dans des musées depuis des siècles, depuis que la mode est passée d'étendre des tentures dans le choeur des cathédrales. «Saints de choeurs» que présente, à Caen, le Musée de Normandie dans la très belle salle de l'Echiquier de Guillaume le Conquérant, présente une dizaine de ces tapisseries ou des tentures isolées qui, au XVe siècle surtout, se déployaient autour des stalles des chanoines pour décorer le choeur mais surtout pour protéger ces messieurs des courants d'air glacés. Fermé par un jubé, drapé dans des dizaines de mètres de tapisserie, le choeur demeurait ainsi quasiment invisible aux paroissiens qui restaient cantonnés dans la nef, un peu comme dans les églises orthodoxes où l'iconostase le protège jalousement du regard des fidèles. Jusqu'à ce que le Concile de Trente interdise ce cloisonnement et, supprimant les jubés, ouvre l'église tout entière à tous. Cela dit, la mode a perduré des siècles et, une tapisserie durant environ 100 ans, on peut imaginer le nombre de ces pièces magnifiques encore conservées ici ou là. On songe, par exemple, à la Tapisserie de la reine de Mathilde, qui orna un temps la cathédrale de Bayeux avant d'être remplacée par une nouvelle étoffe précieuse. La pièce majeure présentée à Caen est la tapisserie de La Vie de saint Gervais et saint Protais, cinq pièces totalisant 32 mètres conservés, provenant de la cathédrale du Mans. On connaît son commanditaire, un certain Martin Guérande, chanoine, qui s'est fait représenter dans la dernière image, agenouillé devant les reliques des deux saints jumeaux et «adoubé» de la main de saint Martin lui-même. Commencée en 1483, la tapisserie a encore toutes les caractéristiques du Moyen Âge : semis mille-fleurs au sol des scènes d'extérieur, perspective maladroite dans les bâtiments placés au second plan. On y trouve aussi le curieux mélange de costumes de l'époque avec les improbables armures de pseudo-soldats romains, dans des positions qui ont conservé un petit quelque chose de hiératique. Mais cette tenture aux coloris francs et chatoyants, aux détails raffinés dans le traitement des décors et des vêtements, remplie de symboles qu'on ne sait plus interpréter, des chiens, des paons, des pies, est d'une singulière beauté. Un homme y porte un turban surmonté d'un chapeau pointu. «Le pape, au début du siècle, avait rencontré le basileus, et les esprits occidentaux avaient été très frappés par les chapeaux byzantins, d'où une mode qui fit long feu», explique Jean-Yves Marin, directeur du musée et commissaire de l'exposition. Le même type de chapeau apparaîtra sur d'autres tentures. Plus naïvement médiévale est la tapisserie du jubé de Saint-Maurice d'Angers, représentant La Vie de saint Maurille. L'évêque, se sentant coupable d'avoir laissé mourir un enfant sans le baptiser, s'était puni, dit la légende, en devenant le jardinier du roi d'Angleterre. La tenture, unique, mériterait une étude botanique approfondie, tant la nature que le saint homme travaille avec obstination est luxuriante et diversifiée.«Cette époque, au tournant des XVe et XVIe siècles, est une charnière entre deux mondes, poursuit Jean-Yves Marin, et la tapisserie en est un parfait exemple puisqu'on y trouve des représentations totalement médiévales, contemporaines de tentures plus grandes, ornées d'une bordure de fleurs, aux personnages plus groupés, plus mouvants et clairement vêtus à la mode de la Renaissance.» C'est le cas avec une Vie de saint Saturnin, commandée pour l'église éponyme de Tours, datée de 1527. Le second plan de la tenture est truffé d'architectures antiques et de bâtiments en construction évoquant un peu la place de la Signoria à Florence. Nous sommes ici en pleine Renaissance, comme nous le sommes avec La Vie de saint Julien, de la cathédrale du Mans, du début du XVIe, où le saint, richement vêtu, prêche à une foule de gentilshommes et de dames vêtus et coiffés à la mode de la Renaissance. Les bruissements des velours et des satins, les manches gigot, les coiffes ornées de pierreries nous éloignent du saint Maurille, vêtu en serf et bêchant son jardin et des phylactères qui sortaient de la bouche des personnages médiévaux.Jusqu'au 30 avril, au Musée de Normandie. Château. 14000 Caen. Tél. : 02.31.30.47.60. Catalogue : 30 €. Petit journal : 2 €
