Procès Euthanasie : acquitté au bénéfice de l'amour Morten Jensen était jugé hier par la cour d'assises d'Angers pour avoir abrégé les souffrances de sa femme, atteinte d'un cancer généralisé. Samedi 11 janvier 2003, dans un hôpital d'Angers, entre 14 h 30 et 14 h 50, Morten Jensen appuie sur les seringues de perfusion de morphine et de Tranxène. En quelques instants, les produits censés se distiller en trente-six heures, s'écoulent dans les veines de sa femme, Emmanuelle, 28 ans, en phase terminale d'un cancer généralisé, plongée dans le coma. C'est fini. Il a abrégé de quelques jours l'agonie de la jeune femme. Morten appuie sur la sonnette des infirmières et quitte la salle. «Emmanuelle, c'était mon grand amour et elle l'est encore», s'est-il contenté de déclarer, hier devant la cour d'assises d'Angers qui le juge pour homicide volontaire. En permanence au bord des larmes, Morten Jensen est un Danois de 36 ans, à l'allure juvénile. Les faits, il les assume, comme ce 11 janvier quand il est revenu dans la chambre, au bout d'une vingtaine de minutes. Les infirmières sont près de sa femme, surprises face aux seringues vides, incapables de comprendre qui les a appelées. Choqué, Morten leur explique dans un français hésitant. Le médecin de garde est appelé ; il refuse de signer le certificat de décès. La machine judiciaire se met en branle. Père aimant. Erich Jensen, son père, un constructeur indépendant de machines agricoles, veut poser une question à la cour. «Lorsqu'un père et une mère qui ont perdu leur fille bien-aimée sont capables de pardonner à mon fils pour cet acte, est-ce que des hommes ou une loi faite par des hommes peuvent le condamner ?» Et il continue : «Emmanuelle et Morten ont reçu une condamnation très sévère : la maladie. Durant deux ans, ils l'ont combattue ensemble. Il l'a accompagnée aussi loin qu'il pouvait.» Dans la salle, le silence. Le père ajoute : «Et puis pendant trois ans, Morten a dû attendre le procès. Tout en s'occupant de son fils en père très aimant. C'est assez, c'est vraiment trop.» Gisèle Hubault, la mère d'Emmanuelle, lui succède à la barre. «Le chagrin a commencé quand Emmanuelle m'a annoncé son cancer, fin 2000», dit-elle, d'une voix qui se brise. C'est la fin du conte de fées, entamé en 1998, dans la liesse de la Coupe de monde de football. Emmanuelle, coiffeuse, croise la route de Morten, reporter-photographe travaillant notamment pour Politiken, un grand quotidien danois. C'était pendant un match. Coup de foudre instantané. Elle part le rejoindre au Danemark et met au monde, début 2000, un petit garçon, Axel. C'est peu après que le «chagrin» a commencé. Ablation des deux seins, chimiothérapie, radiothérapie, métastases au foie, au cerveau. En février 2002, elle vient se faire soigner à l'hôpital d'Angers, près de sa famille. En novembre, tout s'accélère. Paralysie faciale, puis du côté droit, puis de tout le corps. Elle ne voit plus, plonge dans une sorte de coma d'où elle ne sort que pour gémir, en regardant la photo d'Axel qu'elle a fait coller au plafond. Le médecin légiste explique qu'en janvier 2003, Emmanuelle se trouve dans «un état désespéré, avec seulement quelques jours à vivre». «Elle regardait continuellement la photo de son petit, au-dessus de son lit, dit sa mère. Morten était toujours là. Il était à bout de la voir souffrir.» Pour elle, Morten n'est pas «un assassin». Une des soeurs d'Emmanuelle raconte : «Le premier jour à l'hôpital, Emmanuelle a crié son nom. Elle ne voulait pas qu'il parte. Il a toujours été là pour la consoler, lui tenir la main. Elle ne voulait que lui.» Elan altruiste. Le Dr Philippe Maillard était de garde ce week-end de janvier 2003. Il décrit Morten comme «un homme épuisé qui a passé deux mois au chevet de son épouse». Les psychiatres experts parlent de l'«élan altruiste de compassion envers un être auquel l'unissait un lien profond de connivence». Morten est «calme, tranquille, fondamentalement non-violent, émotif», écrivent-ils. Il regrette la mort d'Emmanuelle, pas son geste. «Sa protection naturelle, explique le Dr Serge Bronstein, c'est qu'il n'investit pas cette procédure. La justice des hommes est au-delà de ce qu'il peut ressentir. Il est uniquement dans son chagrin.» «Mature et responsable», il ne cherche pas à fuir ses responsabilités, explique le psychiatre. Mais il se place d'autant plus volontiers sur le terrain éthique qu'au Danemark il a baigné dans une culture beaucoup plus libérale face à la question du suicide assisté. Morten regrette qu'aucun médecin ne lui ait expliqué que l'agonie d'Emmanuelle ne durerait plus que quelques jours. Contre l'avis de l'avocat général, qui réclamait deux ans de prison avec sursis, Morten a été acquitté, dans les applaudissements.