Manifestation ÉTATS-UNIS La manifestation contre la guerre en Irak a réuni 100 000 personnes samedi devant la Maison-Blanche, en l'absence du président américain mobilisé au Texas par Rita Les antiguerre défient Bush à Washington De nombreuses familles de soldats morts en Irak ont manifesté samedi devant la Maison-Blanche.   (Photo AP)  Un air des années soixante a flotté samedi sur Washington. Et Joan Baez a été la première à l'entonner. La chanteuse militante qui avait prêté sa voix aux refrains contre la guerre du Vietnam a repris du service pour fustiger en chansons «l'occupation» de l'Irak. Devant un public d'environ cent mille manifestants (selon les estimations de la police elle-même) venus des quatre coins du pays pour défiler autour de la Maison-Blanche, dont l'occupant était opportunément absent pour cause d'ouragan à surveiller. Quelle est la différence entre les deux mouvements antiguerre ? A la question du Figaro, Joan Baez répond par une pirouette : «quarante ans». Certes, mais il n'y a pas de conscription par tirage au sort pour envoyer à Bagdad d'autres Américains que des volontaires... «Mais on recrute sur les campus et dans les quartiers pauvres», réplique Joan, les cheveux plus courts et plus blancs mais la voix aussi stridente qu'avant. De fait, des milliers d'étudiants ont convergé sur la capitale pour se mêler à la foule, majoritaire sans doute, des «yuppies» grisonnants et autres «vétérans» des campagnes anti-Vietnam. Brian Setzler est en première année à l'université de l'Etat de l'Ohio. Il a pris l'un des cars affrétés par le mouvement «College, not Combat» pour venir manifester son angoisse : «Je me sens menacé par le retour possible de la conscription.» Dans la manifestation, qui s'est déroulée dans une atmosphère de kermesse bon enfant, lointain écho de l'angélisme des plus tendres années hippies, une note plus sérieuse : le cordon formé par une ficelle tenue par des centaines de mains sur plus d'un kilomètre et à laquelle sont suspendues les photos des quelque 1 900 soldats morts en Irak. Un slogan unificateur a mobilisé les multiples chapelles antiguerre à l'appel du mouvement Answer («Act Now to Stop War & End Racism») : «Rapatriez les troupes maintenant !» La manifestation a servi de point de ralliement à tout ce que l'Amérique compte de groupuscules contestataires, depuis le Parti socialiste jusqu'à la coalition «contre la pauvreté, la guerre et le racisme», au moulin de laquelle ont apporté de l'eau le drame de Katrina et les inondations de La Nouvelle-Orléans. Au-delà de l'Irak, c'est toute la politique «impérialiste» des Etats-Unis dans le monde qui est fustigée : «George W. Bush ne représente pas la civilisation», a lancé de la tribune Michel Shesada, président du «National Council of Arab Americans». Mais la grande vedette de la journée, c'était Cindy Sheehan, qui a «réveillé» le mouvement pour la paix en plantant sa tente à l'orée du ranch texan de George W. Bush l'été dernier, dans le vain espoir d'obtenir une entrevue avec le président. Son campement baptisé «Camp Casey», du nom de son fils tué en Irak, a attiré des milliers de sympathisants qui l'ont suivie jusqu'à Washington. «Combien d'autres enfants êtes-vous prêts à sacrifier ?», a demandé la mère de Cindy aux parlementaires qui ont voté la guerre. Cette manifestation était aussi celle des parents, et principalement des mères de famille. Paula Minor a fait douze heures de route à bord d'un car venu d'Indianapolis : «J'étais étudiante dans les années soixante mais politiquement inactive. C'est la première fois que je m'engage. Il faut que notre gouvernement se rende compte que les Américains veulent un changement.» Même les grand-mères s'en mêlent. Le mouvement «Raging Grannies» (les grand-mères en colère), né au Canada, regroupe les représentantes du troisième âge qui ont choisi d'«éveiller la conscience du public» par l'humour et le spectacle. «Nous nous déguisons et nous brodons des paroles de circonstance sur des airs connus», explique Ruth Zalph, venue de Caroline du Nord : «Nous retenons l'attention des gens en les amusant. Personne n'écoute les discours.» Les antiguerre n'étaient pas seuls à Washington samedi. Si les antimondialistes descendus à Washington pour protester contre la réunion du Fonds monétaire international les ont rejoints, quelques centaines de sympathisants de Bush, tenus à l'écart par la police, ont tenté une contre-manifestation. Ils n'ont pas fait le poids. Reste à savoir si le mécontentement trouvera un relais politique. Pour le révérend noir Jesse Jackson, ancien compagnon de Martin Luther King, venu épauler Cindy Sheehan : «La réponse des démocrates ? Elle est trop faible, trop faible.»