Vente Etat a mis en vente hier ses trois sociétés d'autoroutes, évaluées à 12 milliards d'euros, afin notamment d'alléger la dette publique. a maison France cherche désespérément de l'argent. En accélérant le calendrier de la vente de ses trois sociétés d'autoroutes publiques, Thierry Breton, le ministre de l'Economie, espère, sinon s'attaquer à la dette, au moins donner un signe que le gouvernement est reparti à l'action. Quitte d'ailleurs à défaire ce que Jean-Pierre Raffarin avait péniblement construit, en mettant en péril le financement de son très ambitieux programme d'infrastructures (lire ci-dessous). Hier matin, Bercy a donc choisi de lancer un appel d'offres pour la vente de son patrimoine autoroutier, composé de trois entreprises publiques (Sanef, ASF et APRR), évalué à autour de 12 milliards d'euros. Il a fixé au 22 août la date limite du dépôt des candidatures. «On choisira bien sûr en fonction du prix mais aussi du projet industriel et social des acquéreurs», dit-on à Bercy, pour ne pas donner l'impression d'être acculé. De l'avis de nombreux analystes, la procédure choisie devrait en tout cas permettre de faire grimper les enchères et paradoxalement de compliquer la tâche de Bercy. Car rares seront les groupes qui pourront seuls mettre suffisamment d'argent pour prendre le contrôle des autoroutes françaises. Une société d'autoroutes, société comme une autre ? A lire dans le quotidien les Echos les propos de Thierry Breton et Dominique Perben, une société d'autoroutes est une entreprise exactement comme les autres. Elle serait soumise aux jeux «de la concurrence», et aux «défis technologiques et stratégiques de son secteur». D'où les privatisations. Bercy ajoute d'ailleurs qu'en les vendant au privé la France ne fait que rejoindre un mouvement enclenché par le reste de l'Europe, comme l'Italie et l'Espagne. Les services de Thierry Breton pourraient ajouter que la société Cofiroute (entièrement privée, détenue par les trois groupes de BTP Vinci, Colas et Eiffage) est déjà un exploitant de 928 kilomètres d'autoroute (dont le tronçon Paris-Poitiers), sans que l'automobiliste trouve quelque chose à y redire. Certes, mais il reste qu'une société d'autoroutes a un business plan très différent d'une entreprise lambda. Vivant exclusivement des péages, elle est par nature en situation de monopole sur son réseau et n'est en rien menacée par une éventuelle concurrence. Si aujourd'hui la situation financière des trois sociétés d'autoroutes publiques n'est guère brillante du fait d'une lourde dette (22 milliards d'euros à elles trois) due à leurs constructions, la situation sera totalement assainie en 2018. Ce qui fait dire à un haut fonctionnaire : «Payer aujourd'hui 11 milliards d'euros pour mettre la main sur ce patrimoine, c'est vraiment pas cher.» Quant à l'argument du défi technologique, il est aussi à prendre avec des pincettes. «Le capital public des entreprises n'a pas empêché celles-ci d'investir dans le télépéage et les systèmes d'information des automobilistes. On avait du retard, mais aujourd'hui on est au niveau», estime Bernard Soulage, le monsieur Transports du Parti socialiste. Quelles conséquences pour le tarif des péages ? Automobilistes inquiets, rassurez-vous : la privatisation des sociétés d'autoroutes ne changera rien au niveau des péages. Bernard Val, PDG des Autoroutes du sud de la France (ASF), déjà semi-privatisées, le jure. «Les sociétés d'exploitation des autoroutes ont un contrat de service public avec l'Etat. Qu'elles soient privées ou publiques, les règles du cahier des charges ne varient pas, dont celle de fixation des péages.» De fait, selon les termes de la concession qui dure jusqu'à 2032, le tarif des péages est administré. En substance : une augmentation fonction de l'inflation mais aussi périodiquement réévaluée en fonction des investissements nouveaux à réaliser. «L'inquiétude sur les tarifs des péages n'a donc pas de fondement», rassure Bernard Val. Il n'en va pas de même sur leur utilisation. Aujourd'hui, les péages versés par les utilisateurs servent à payer l'exploitation, les impôts, la dette et les nouveaux investissements sur le réseau. Or la justification de la privatisation est de permettre aux sociétés d'autoroutes d'aller investir à l'étranger. Les péages pourraient donc théoriquement servir demain à financer aussi ce développement à l'étranger... Un investissement sans doute rentable pour des futurs actionnaires privés, mais sans aucun bénéfice pour les utilisateurs français. Pire, la part de péages consacrés aux investissements ou au remboursement de la dette aura naturellement tendance à diminuer dans le temps. Les péages, eux, demeureront. Pour le bénéfice croissant de l'actionnaire privé. Il y a quelques mois, le patron d'une entreprise publique française en voie de privatisation lâchait même : «Parmi toutes les privatisations, le vrai scandale, c'est les sociétés autoroutières, parce que cela revient tout simplement à privatiser de l'impôt.» Pourquoi les sociétés de BTP sont-elles en embuscade ? Les trois grands français du secteur, Bouygues, Eiffage et Vinci, militent depuis longtemps pour une telle privatisation. Pour eux, c'est a priori tout bénéfice. «Il existe de véritables synergies entre les sociétés qui exploitent les autoroutes, celles qui les entretiennent et celles qui les construisent», assure l'analyste financier Edmond Sassine, de Kepler Equities. C'est tellement vrai que Bercy reconnaissait il y a encore un an que se retrouver tout seul face à des géants du BTP n'était pas sans poser de problèmes. Comment s'assurer que ces groupes assurent une réelle transparence de leurs comptes d'exploitation ? Comment obtenir la garantie qu'ils vont se faire une vraie concurrence quand les appels d'offres pour construire de nouveaux tronçons seront lancés ? La perspective de voir les majors du BTP fondre sur les sociétés autoroutières «inquiète au plus haut point les grandes PME de travaux publics qui travaillaient sur les constructions de nouvelles sections, qui ont peur de se voir prendre tous les marchés», affirme, d'ailleurs, un professionnel du secteur. Hier, les conseillers de Thierry Breton assuraient que le gouvernement a mis des garde-fous : un commissaire du gouvernement sera au conseil d'administration de chaque société, et le pouvoir du concédant (l'Etat) devrait être renforcé grâce à l'élaboration de nouveaux contrats de concession.