Annonce Epidémie. Plus virulente que les autres années, la maladie révèle un manque de moyens. «L'épidémie actuelle de dengue ? Evidemment que c'est inquiétant, lâche, énervé, une médecin-infectiologue de l'hôpital de Cayenne. Il n'y a jamais assez de lits ! Alors, comment fait-on pour les malades supplémentaires ?» Le directeur de l'hôpital, lui, se veut rassurant : «La situation est compliquée et dangereuse. Mais elle est en voie d'être maîtrisée.» Un autre interniste, lui, raconte: «Le mois dernier, je l'ai attrapée. C'est rude. J'ai été plus d'une semaine cloué dans le lit, épuisé, avec de fortes fièvres. Même là, je suis encore crevé.»Depuis le mois de décembre, la Guyane est sous le coup d'une épidémie de dengue, événement classique dans cette région. Sauf que, cette année, elle est violente et hautement pathogène. Et surtout meurtrière. Depuis son arrivée fin 2005, plusieurs milliers de personnes ont été touchées. Et trois enfants (âgés de 7 mois, 4 ans et 5 ans) en sont morts. «C'est une dengue de type 2, explique la docteure Chantal Villeneuve, pédiatre, une forme beaucoup plus dangereuse. Et surtout une forme que nous n'avons pas connue depuis 1992. La population est donc peu immunisée.» D'où l'impact actuel. «Ce qui est vraiment dommage, c'est qu'on aurait pu s'y préparer, lâche la docteure Myriam El Guedj. Cette épidémie, comme à chaque fois, arrive de Martinique ; on savait depuis des mois qu'elle allait nous tomber dessus.»La dengue est une arbovirose transmise par les moustiques contre laquelle il n'existe aucun vaccin. La plupart du temps, quand la personne est touchée, il n'y a rien à faire ; on peut juste alléger les symptômes, prendre du paracétamol et attendre. Mais les formes plus sévères peuvent se révéler dramatiques pour les plus fragiles : les enfants ou les personnes âgées.Moustiquaires. Comme toujours face au développement de telles épidémies, la solution est essentiellement préventive et passe par la démoustication. En Guyane, ce n'est pas franchement la priorité. D'autant que celui qui transporte le virus de la dengue est un moustique urbain et intradomiciliaire : il aime la ville et se terre dans les maisons. Bref, il faudrait des moyens et une politique constante. Il y a deux mois, le ministre de la Santé est venu à Cayenne. Mais c'était... pour le chikungunya : Xavier Bertrand voulait faire le point de la situation, prétextant deux cas importés. Le 20 avril, il est revenu en urgence. Pour la dengue, cette fois, après le décès des enfants. En raison aussi de la crainte d'un début de panique dans la population. Durant cette brève visite, il a annoncé le déblocage d'une enveloppe supplémentaire de 4,2 millions d'euros pour lutter contre l'épidémie ; 3,5 millions seront destinés à l'amélioration de l'équipement et de la capacité d'accueil des hôpitaux de Cayenne, de Kourou et de Saint-Laurent-du-Maroni. «Nous allons doubler le financement de crise du service départemental de désinfection, de façon à être efficace sept jours sur sept», a annoncé Xavier Bertrand. Le ministre a aussi prévu 250 000 euros pour la distribution de moustiquaires imprégnées.Une semaine plus tard, la situation est toujours délicate. «Il y a eu un vrai déblocage, explique le directeur de l'hôpital. Nous aurons une unité de maladies infectieuses et tropicales en juin. Et surtout, dans l'immédiat, grâce à l'apport de quelques médecins, qui sont venus avec le ministre, nous avons pu mettre en place une filière spécifique de suivi des enfants qui arrivent aux urgences. L'enjeu est d'arriver à faire venir des infirmières et des médecins en Guyane. Et de bien les payer, pour qu'ils restent.»Encore deux mois. Pourtant, la pédiatre Chantal Villeneuve demeure inquiète : «Quand le ministre est venu, il nous a demandé ce dont on avait besoin. Je lui ai dit, tout simplement, du mobilier, des lits. On n'en a pas assez. Et ici, on n'est pas à Paris. Quand il n'y a plus de places dans cet hôpital, on ne peut pas caser le patient dans un autre. A Cayenne, il n'y en a qu'un, c'est tout.» Un autre médecin : «La dengue révèle des manques criants. Faute de place, il m'est arrivé de renvoyer chez lui un patient atteint de tuberculose.»Lors de sa venue, le ministre de la Santé a promis une extension de 170 lits pour les années à venir. En attendant, il faut parer au plus pressé. Diagnostiquer les cas, ce qui n'est pas simple, beaucoup de personnes touchées restant chez elles. Puis, surveiller les jeunes patients qui sont hospitalisés. L'épidémie actuelle devrait durer encore deux mois. Jusqu'à la fin de la saison des pluies. «On tient, lâche la docteure Villeneuve. Mais on est épuisés.»
