Mort d'Enzo Siciliano
Mort Enzo Siciliano, écrivain italienL'écrivain italien Enzo Siciliano est mort à Rome, vendredi 9 juin, des suites d'une attaque cérébrale. Il était âgé de 72 ans.C'est une autorité morale et intellectuelle qui disparaît avec ce romancier et essayiste, né le 27 mai 1934 dans la capitale italienne, ville où il aura toujours vécu. Cette autorité, il la tenait d'un tempérament rationnel rigoureux, du parrainage de deux figures essentielles du XXe siècle italien, Alberto Moravia et Pier Paolo Pasolini, dont il était l'ami et le biographe, et, il faut le dire, d'un certain goût pour le pouvoir.Il devait, en effet, au cours de sa carrière, exercer plusieurs hautes responsabilités, dans les médias - il dirigea brièvement la RAI, la radio-télévision nationale, et tint une chronique cinématographique et musicale dans l'hebdomadaire L'Espresso - et dans le domaine éditorial. Mais c'est surtout un sens constant de la conscience politique et littéraire qui le fit s'exprimer, tant dans des tribunes publiques que dans des textes plus intimes.La mort de Pier Paolo Pasolini, en 1975, détermina, en quelque sorte, l'orientation à venir de l'écrivain, qui s'attacha immédiatement à traquer la vérité des circonstances de son assassinat, pour contrer les désinvoltures d'une magistrature pour le moins négligente. Il écrivit une Vie de Pasolini (Rizzoli, 1978, traduite en français aux éditions de La Différence) dans laquelle il n'apportait pas de réponse définitive à l'énigme d'un génie massacré. Dans un très émouvant témoignage, Campo dei fiori (Rizzoli, 1993), Siciliano relisait, à la lumière du passé de l'Italie et de ses autres rencontres, le destin du poète assassiné.Sans jamais acquérir en France la notoriété de ses deux aînés, Enzo Siciliano vit plusieurs de ses ouvrages traduits : Rosa ou le mensonge des fleurs (Laffont, 1974), La Nuit marâtre et La Princesse et l'Antiquaire (chez Salvy, en 1994 et 1995) et, tout récemment, Les Beaux Moments (Le Rocher, 2005), reconstitution, à partir d'archives imaginaires, de la vie de Mozart et de Constance Weber. Ce roman historique raffiné lui avait valu, il y a huit ans, le prestigieux Premio Strega (le Goncourt italien).Sa profonde érudition transparaît dans toute l'oeuvre du romancier, qui décida même de raconter sous forme de roman l'histoire de la littérature italienne (en trois volumes, publiés chez Mondadori, à partir de 1986). Cette entreprise originale permit à l'écrivain de reconstruire d'une manière plaisante et érudite, sans aucune concession à la vulgarisation, une histoire chaotique et pourtant continue, mêlant des analyses littéraires parfois élaborées et des anecdotes biographiques.ELÉGANCE ET LISIBILITÉCette acuité soucieuse de pédagogie, ce savoir accompagné d'élégance et de lisibilité, on les retrouve dans les articles et les essais de Siciliano et dans son activité éditoriale importante, qui lui a permis de faire éclore de nombreux jeunes talents (dans la revue Nuovi Argomenti, qu'il dirigea après la mort de ses deux mentors).C'est dans la lecture qu'il a proposée des oeuvres de Moravia (Alberto Moravia, vita, parole e idee di un romanziere, Rizzoli, 1982) et de Pasolini que l'on peut comprendre, par déduction, la conception qu'il se forgeait de son propre métier d'écrivain : "Pasolini savait bien que la réalité n'est pas quelque chose qui se trouve, comme un grumeau d'objectivité, sous les yeux de l'écrivain. Pasolini savait bien que la réalité est une expérience avant tout intérieure, mais en même temps physique - une hypostase de l'intériorité qui exige le vécu comme aliment. Le rapport de l'écrivain avec la réalité présuppose une victime - et cette victime est l'écrivain lui-même."