Manifestation Entre 218 000 et 400 000 personnes ont défilé hier contre le contrat première embauche de Villepin. Une mobilisation moyenne. Manifs : contrat pas tout à fait rempli Où se jouera la bataille contre le contrat première embauche (CPE) ? Dans la rue ? A l'Assemblée nationale ? Hier, la gauche syndicale, associative et politique a tenté de mener la bataille sur les deux fronts. La guérilla parlementaire menée depuis huit jours visait à repousser l'examen du dispositif par les députés jusqu'aux 187 manifestations qui se sont déroulées hier dans toute la France. Un pari réussi en terme de calendrier, moins en ce qui concerne l'affluence. Avec 400 000 manifestants en France, de sources syndicales, et 218 000 selon la police, dont la moitié de jeunes, la rue a rendu un premier verdict : encourageant, mais peut mieux faire. Tour de France de ces défilés qui gardaient un oeil sur l'Assemblée. Devaquet et Balladur avaient dû reculer Eléphants. A Paris, peu avant 14 heures, place de la Bastille, point de départ du défilé, les éléphants socialistes avaient chaussé leur double casquette. «Les socialistes sont à l'Assemblée, les socialistes sont dans la rue, les socialistes sont partout», fanfaronne Dominique Strauss-Kahn en avalant un kebab. Avant de s'éclipser une heure plus tard pour rejoindre le Palais-Bourbon. En partance lui aussi vers l'hémicycle, Laurent Fabius, écharpe rouge et chapeau gris, dénonce la logique «d'un gouvernement qui considère les jeunes, et bientôt l'ensemble des salariés, comme des salariés jetables». «Les parlementaires socialistes sont là pour montrer qu'il y a deux logiques», celle de «la précarisation» décidée par le gouvernement et celle de la «formation» proposée par le PS, ajoute François Hollande. Non loin se trouvent la patronne du PCF, Marie-George Buffet, le secrétaire national des Verts, Yann Wehrling, ou encore Alain Krivine qui, aux côtés d'Olivier Besancenot, font entendre la différence de la Ligue communiste révolutionnaire : «La seule unité, c'est ici, dans la rue, dans le soutien aux mobilisations, pas dans la mascarade» du sommet qui se tient aujourd'hui à la Mutualité (lire page 14). La quarantaine en costume, monsieur Delpouve, délégué syndical de la CFE-CGC, regarde le cortège depuis le trottoir. Ils sont 45 000 manifestants selon les organisateurs, 13 000 selon la police. Sa confédération n'a pas appelé à manifester, pourtant : «Plus de précarité, ce n'est pas ce dont les gens ont besoin.» Pour un peu, il tomberait d'accord avec Régis, prof dans un lycée professionnel en banlieue parisienne : «On crée une société de l'angoisse.» Ou avec Cyril, 28 ans, contrôleur du travail : «Avec le CPE, plein de jeunes qui auraient trouvé un CDI rapidement vont se retrouver avec deux ans de précarité en plus.» Debout sur son banc, Henri, ingénieur en retraite, tonne contre cette nouvelle catégorie de salariés «à la journée, comme il y a 200 ans». Etudiants. Place de la Bastille, Mathieu, 17 ans : «J'appartiens à une génération qui se prend tout sur la gueule.» C'est dit. En DESS de gestion des ressources humaines à Marne-la-Vallée, Edwige, 22 ans, redoute d'avoir à signer (et faire signer) des contrats première embauche et nouvelles embauches : «Je suis de droite, mais faut arrêter les cadeaux aux patrons. On a besoin d'un vrai travail pour pouvoir faire notre vie.» Quelques apprentis ou lycéens issus des filières techniques sont là. «Nous sommes les plus exposés au CPE car les premiers à arriver sur le marché du travail», résume Erwan, 17 ans, en CAP électrotechnique. «J'ai fait une filière pro pour trouver plus facilement un boulot. Quand je serai un nouveau travailleur, je n'aurai que des CPE», anticipe Amman, 19 ans, en BAC pro électricité. Il se sent «mis à la marge en tant que jeune». Taïron, 17 ans, en BEP chimie, demande : «Si le CPE existe, pourquoi les entreprises se mettraient à donner des CDI aux jeunes ?» Ils n'ont aucune confiance : «Beaucoup de choses ne sont pas normales dans les boîtes aujourd'hui», constate Lise, en contrat de professionnalisation médico-social. «On manifeste contre l'état général du marché du travail aujourd'hui», analyse Annissa, qui défile avec le mouvement PRS (Pour la République sociale) de Jean-Luc Mélenchon. Arborant des masques blancs, une trentaine de membres du mouvement Génération précaire. Sur leurs dossards, une inscription : «CDI parce que je le vaux bien, stage parce que je ne vaux rien.» Au bout de fils accrochés à des bâtons, des carottes. «La carotte, c'est le CDI, le stagiaire court après.» Lille. «Attention aux urnes, les jeunes comptent pas pour des prunes», chantent des manifestants dans les rues de Lille. Chez FO, un homme en frac, haut de forme et cigare fait mine de fouetter un jeune en laisse. «Le CPE pour lutter contre la précarité, j'y crois pas», dit la grande Gwendoline, 19 ans, en communication des entreprises. «A la première crise, ils licencieront.» Laura, jupe en dentelle noire, et Elodie, jean et locks, 16 ans, cherchent un contrat d'apprentissage chez un photographe depuis août : «On ne trouve rien.» Et le CPE ? «On ne peut rien construire. Vous prêteriez de l'argent à quelqu'un qui peut perdre son boulot ?» interroge Laura. Olivier, 39 ans, éducateur, fait ce constat : «Je suis en CDI. Si dans deux ans je veux changer, je fais quoi ? J'ai plus le choix.» Place de la Gare, Céline, 30 ans, téléconseillère au chômage, les regarde passer : «Je les comprends. Un ami informaticien a été embauché en CNE, et viré au bout d'une semaine à cause d'un retard.» A Toulouse, les trompettes sonnent la corrida, les lycéens devant : «Olé !» Ils sont «plus de 15 000» selon la FSU et «15 000» tout rond selon la police. Pour une fois, les comptes sont bons. Il y a des salariés d'Airbus ou de Microturbo, ceux du Cnes et les cheminots CGT. Derrière eux, les intermittents du spectacle promènent leurs têtes de carnaval au bout de piques. «On remet ça jeudi !» hurle un étudiant dans son micro. Il a beau faire froid, les coeurs sont réchauffés. A Nantes aussi (10 000 à 12 000 personnes), ça bouillonne à l'avant, ça grisonne à l'arrière. Menuisier, 20 ans, Maël a déjà tâté du CNE : «Le patron m'a carrément dit : "à la première faute, on te vire, on n'hésitera pas".» Son copain Glen ajoute : «Avec ça, on va pouvoir fermer les agences d'intérim : la précarité entre officiellement dans les boîtes.» Une pancarte solitaire demande : «Electeur de gauche recherche parti politique crédible d'urgence (avant 2007)». «J'ai livré des pizzas pendant un mois à l'essai, je sais ce que c'est, dit Camille, 21 ans, qui manifeste à Rennes. Le patron qui me disait "tu vas pas faire chier sur les horaires, t'es à l'essai !" Alors deux ans !» La jeunesse bretonne est devant, les autres derrière. «Ces licenciements non motivés, ça me révolte, lâche Gwenn, étudiante en arts du spectacle. On ne nous considère pas comme des êtres humains mais comme des machines qu'on jette quand elles sont usées.» La jeunesse est simplement «dans la merde», résume Marie, en CAP à Montpellier, au milieu de 5 000 à 8 000 personnes. «On nous parle des emplois qui vont être créés mais pas des licenciements que ça entraînera», note finement Vincent. Avec 10 000 personnes à Bordeaux, «on continue demain !» lance un étudiant de l'Unef. En attendant, il y a une assemblée générale à l'université Bordeaux-III. Pour Marie-Noëlle et Clément, 15 ans, c'est la première manif. Les jeunes n'ont pas seulement un avenir, ils ont aussi «des grands frères et des parents».