Scandale En vue des JO, Pékin rase gratis La ville détruit ses vieux quartiers et expulse ses habitants contre des indemnisations indignes. Tous les travaux doivent être finis dans un an et demi, le temps que l poussière des chantiers retombe avant la cérémonie d'ouverture des Jeu olympiques. Après avoir rasé au sol et reconstruit l'équivalent de l superficie de Paris intra-muros, la municipalité de Pékin s'attaque au derniers quartiers historiques, détruits à la hâte et vidés de leurs habitants Juste au bord sud de la place Tiananmen, l'un des principaux coeurs de l capitale disparaît sous les coups de bulldozers. Un peu l'équivalent d Marais parisien, le quartier de Qianmen compte environ 100 000 habitants qui ont été sommés de quitter leurs foyers au début du printemps. Un moi pour déménager en acceptant les maigres compensations proposées, faut de quoi, c'est l'expulsion manu militari Abrupte. Dans un décor de ruines et de gravats, la vie des ruelles continue. Car beaucoup d'habitants ont refusé de partir, parfois dans des conditions tragiques. En mai, un récalcitrant s'est immolé par le feu quand la police a brisé les portes de son magasin et jeté tous ses articles sur la chaussée. En juin, un couple de retraités s'est tranché les veines quand des camions de déménagement sont venus emporter leurs meubles et eux avec vers une banlieue désignée d'office. «Les feuilles tombent près des racines, nous voulons mourir où nous sommes nés» furent les dernières paroles de la vieille dame. Des récits similaires circulent dans tout ce quartier de 25 hectares, ville chinoise traditionnelle par opposition à la ville mandchoue des empereurs, datant des Qing du XVIIe siècle. Qianmen abritait autrefois les maisons de thé, les riches marchands, les poissonniers, les bordels et les étudiants. Il est aujourd'hui promis à une disparition abrupte. Pour la municipalité, c'est une aubaine. A la place des quelque 30 000 foyers expulsés, le plan d'urbanisme prévoit de construire des galeries marchandes «haut de gamme» et 800 maisons de «style traditionnel» dont le prix d'entrée sera de 20 millions de yuans (2 millions d'euros) chacune ! Qui les achètera ? «Notre pays ne manque pas de fonctionnaires corrompus», ironise un riverain. A ce prix-là, aucun espoir pour les habitants de revenir dans leur quartier. On leur propose 8 000 yuans (783 euros) par mètre carré ou un logement dans une cité-dortoir à plus de quinze kilomètres du centre, au-delà du cinquième périphérique. De quoi irriter, d'autant que la corruption s'est généralisée. «Le bureau municipal m'a offert la moitié de ce à quoi j'avais droit. Ils voulaient garder le reste ! Comme j'ai refusé, ils m'ont menacé avec des ouvriers-vigiles, relate Yu Jinghui, né ici dans les années 30. J'ai eu gain de cause, mais, de toute façon, je dois partir habiter en banlieue. Et, avec ce que j'ai obtenu, je n'aurais pas un bon appartement.» A travers les nombreux chantiers de la ville, on entend des dizaines de fois la même histoire : évictions forcées, indemnités faibles, corruption et intimidation. Quelques associations de propriétaires tentent des procès. En vain. «La presse est forcée de rester muette, il n'y a pas de débat public autorisé. L'argent l'emporte sur l'héritage historique», déplore la militante Hua Xinmin. Urbanistes et architectes, eux, se plaignent surtout du manque de transparence, d'appels d'offres truqués, de qualité minimale et de la profitabilité à court terme des projets retenus. Une responsable de l'Unesco à Pékin a récemment évoqué la «gravité de la situation à cause de la collusion entre les cercles économiques et politiques» . Parfois, un fusible saute : le vice-maire de Pékin chargé de superviser toutes les constructions en vue des JO vient d'être évincé pour collusion. Mais les démolitions continuent. Les autorités préfèrent employer le terme «réhabilitation», car, paradoxalement, tous ces quartiers centraux en cours d'abattage sont officiellement classés «patrimoine historique et culturel» . Effectuée au nom des JO, cette «réhabilitation» à la pékinoise consiste à raser au sol les mieux situées des hutong, ces lacis de ruelles dont certaines ont plus de six cents ans, tout en conservant les grands monuments et quelques demeures typiques. A la place, on aménage ici un parc public, là un quartier de bars et de boutiques, ou encore une rivière où pourront circuler des bateaux pour touristes. Et, surtout, quelques projets immobiliers de luxe. «La ville subit d'un coup des transformations qui se sont faites progressivement dans les grandes villes occidentales, à savoir un centre-ville au prix de location super-évalué, explique l'architecte belge Nicolas Godelet installé à Pékin depuis quatre ans. Le problème, c'est ce qui pourrait remplacer les vieux quartiers : une sorte de Disneyland imageant l'esprit ancien, vidé de ses habitants originels. L'identité de la ville est en métamorphose brutale.» Cours surpeuplées. Il faut dire que bon nombre de ces quartiers historiques, faits de maisons à cours carrées d'un seul niveau, très arborées, sont aujourd'hui insalubres. Durant l'ère maoïste, ces foyers de «bourgeois capitalistes» ont été réquisitionnés de force et occupées une famille par pièce. Les jeunes issus de ces familles «accueillies» y voient un symbole de ghetto, à cause du manque d'intimité et de confort. Car, après cinquante ans d'occupation, les cours sont surpeuplées, sans sanitaires, et les structures dégradées faute d'entretien. Sans laisser de vraies chances aux anciens propriétaires de réinvestir leur bien, les autorités font main basse sur ces terrains précieux, avec l'appui des promoteurs. Dans certains quartiers du centre-ville, des projets résidentiels populaires de plusieurs dizaines de milliers de personnes ont bien vu le jour. Labellisé «nouveaux hutong», ces îlots en béton de six étages, couverts d'un toit noir, auraient pu être réussis s'ils n'avaient pas été aussi mal et vite construits. Après quatre ans, les murs sont déjà fissurés, la tuyauterie en plastique régulièrement bouchée. «Je ne veux pas habiter l'un de ces immeubles, lance Wang Wei, assis devant son restaurant en passe d'être rasé. La police peut venir, je ne partirai pas. Ici c'est pauvre, mais c'est chez moi. Si le maire voulait faire du bien, il nous donnerait les moyens de refaire nos maisons. Celui à qui j'en veux le plus, c'est Samaranch. Pékin n'était pas prête pour les JO. En les lui offrant, il a signé l'arrêt de mort de cette ville.»