Changement En Ukraine, neuf mois après la "révolution orange", l'heure de la désillusion a sonné et les luttes de pouvoir s'intensifientLes vendeurs de souvenirs de la "révolution orange" ont déserté Maïdan depuis quelque temps déjà. Le commerce de drapeaux, tee-shirts et autres babioles orange ne fait plus recette sur cette place de l'indépendance de Kiev, épicentre de la contestation durant l'hiver 2004.Chauffés par un soleil estival, les badauds déambulent en famille pour la promenade dominicale sur les "Champs-Elysées" de la capitale ukrainienne, loin de la ferveur de ces journées de novembre et décembre 2004 qui firent tomber le régime prorusse, népotique et corrompu de Leonid Koutchma. "La révolution orange est malade" , lâche Andreï, étudiant en droit abonné aux manifestations de cet hiver pour soutenir jusqu'à la victoire le candidat de l'opposition, Viktor Iouchtchenko. "C'est le temps de la désillusion , lâche-t-il. Nous pensions que notre vie allait changer comme par enchantement mais finalement c'est beaucoup plus difficile que prévu." Les attentes de la population parfois irrationnelles, souvent démesurées aux heures chaudes de la révolution ont été rattrapées par une dure réalité. "Nous sommes plus pauvres qu'avant" , commente Olga, mère de famille cumulant les emplois pour arrondir un maigre revenu mensuel officiel de quelque 200 euros en tant qu'enseignante. Les augmentations de salaires et des retraites accordées par le gouvernement de Ioulia Timochenko ont, en effet, été englouties par la décision des autorités de réévaluer la monnaie nationale, le hrivna, dans un pays où la population épargne tout ce qu'elle peut en dollars.En Ukraine, comme ailleurs, le prix de l'énergie a grimpé en flèche et l'on redoute une nouvelle flambée à l'automne alors que la Russie, principal fournisseur de l'Ukraine, a décidé de lui vendre gaz et pétrole au prix du marché mondial.LÉGISLATIVES EN MARS 2006La crise politique qui secoue actuellement le pays a encore accentué cette déception. La belle unité affichée sur la tribune de la place Maïdan, en décembre, a en effet définitivement volé en éclats, jeudi 8 septembre, lorsque le président Iouchtchenko a renvoyé tout son gouvernement pour mettre un terme à une polémique opposant le chef du conseil de sécurité nationale, Petro Porochenko, soupçonné de corruption, et l'équipe de l'ambitieuse et très populaire chef du gouvernement, Ioulia Timochenko, accusée d'excès de dirigisme. "Plutôt que de prendre parti pour l'un ou l'autre, le président a choisi un jugement de Salomon en renvoyant tout le monde dos à dos" , observe un diplomate européen. Or, à sept mois des élections législatives, l'atmosphère se dégrade rapidement au sein de l'actuelle majorité, groupement hétéroclite couvrant un vaste spectre, allant des socialistes aux nationalistes jadis soudés contre le président d'alors, Leonid Koutchma. La course électorale devrait donner lieu à un grand déballage et à une lutte farouche entre le président Iouchtchenko et l'égérie de la place de l'Indépendance, Ioulia Timo- chenko."Nous sommes aujourd'hui sans doute deux équipes différentes et ces deux équipes différentes vont suivre chacune son chemin" , a déclaré vendredi cette femme déterminée, forte d'un réel soutien populaire et d'une alliance parlementaire regroupant une quarantaine de députés (sur 450 sièges). "Son énergie est décuplée parce qu'elle se sent trahie" , nous explique Sergueï Ossipenko, l'un de ses conseillers. "Elle a été sacrifiée sur l'autel des relations incestueuses entre le business et la politique" , ajoute-t-il. Le projet de listes communes aux législatives a donc sombré.La contre-attaque présidentielle ne s'est pas fait attendre pour saper l'image d'une Ioulia Timochenko qui s'élève en martyre de la lutte contre la corruption. Viktor Iouchtchenko a, en effet, expliqué dimanche que sa décision de donner un coup de balai radical était liée aux tentatives du gouvernement de reprendre le contrôle de la plus grande usine de ferro-alliage d'Ukraine à Nikopol (Sud-Est).Selon la presse, Ioulia Timochenko et le secrétaire du conseil ukrainien de sécurité, Petro Porochenko, soutenaient des camps opposés dans la privatisation de l'usine avec, en toile de fond, un vaste marchandage pour contrôler des télévisions dans la perspective des législatives de mars 2006. "Quand certains membres du gouvernement commencent à diriger des juges et des procureurs, à organiser des privatisations dans l'ombre, mettant le pays au bord d'un bain de sang, au nom d'avantages s'élevant à des centaines de millions, je ne reste pas passif" , a lancé Viktor Iouchtchenko. "J'en conclus que rien ne change , observe Myroslav, un jeune banquier. Nous avons la liberté de parole mais les politiques continuent de faire leurs petites affaires dans notre dos. Je n'ai pas confiance en eux."
