Annonce En Suède, le monopole public de l'alcool a perdu sa vertu Jamais une aussi grosse affaire de corruption n'avait éclaboussé la Suède. Depuis le 7 novembre, s'est ouvert à Stockholm le procès de 18 anciens chefs de boutiques Systembolaget, l'entreprise publique qui détient le monopole de la vente d'alcool en magasin. Ils sont soupçonnés d'avoir perçu des sommes d'argent ou des avantages en nature de la part de fournisseurs d'alcool, dont trois comparaissent également pour corruption. Cinq autres procès sont prévus, avec au total 92 inculpés, dont 77 anciens chefs de boutiques. Voyages gratuits pour Monaco avec dîners de luxe et visites au casino, invitations pour aller voir David Beckham à Madrid ou participer à la Fête de la bière à Munich, argent sonnant et trébuchant à titre de "prêt personnel" ou de remboursement de services rendus, les mille et une petites corruptions n'atteignaient pas nécessairement des sommes énormes, mais c'est leur caractère quasi systématique qui a heurté les Suédois. Lorsque l'affaire a éclaté il y a deux ans, on a parlé de "culture de la corruption" , un comble pour cette compagnie symbole de la vertu suédoise que l'Etat se démène à défendre au nom de la santé publique contre la volonté de l'Union européenne de supprimer ce monopole. Lors de son entrée dans l'UE en 1995, la Suède n'avait pu conserver son monopole que contre la promesse d'un traitement égalitaire de tous les fournisseurs d'alcool. Or cette affaire de corruption montre qu'il n'en était rien et que sa situation monopolistique fait de Systembolaget une cible rêvée pour tous les producteurs et distributeurs d'alcool. Fort de son monopole, il est notamment un des plus gros importateurs de vin au monde. Les autorités suédoises ont immédiatement senti le danger. Car au nom de la santé publique, la Suède tient absolument à conserver son système qui lui permet de taxer fortement l'alcool et de maîtriser les horaires d'ouverture des 417 boutiques, même si la concurrence des pays voisins, où les taxes ont été baissées de 40 % en 2004, est très rude. Cette politique rigoriste trouve ses racines au milieu du XIXe siècle. Dans une Suède paysanne, pauvre et abrutie d'alcool, trois mouvements ont façonné l'Etat-providence suédois : le mouvement ouvrier, les Eglises libres et les ligues anti-alcool qui se sont imposées dans la mouvance social-démocrate. L'ennemi semblait être moins le capitalisme et la haute bourgeoisie que la bouteille qui détournait l'ouvrier du rêve socialiste.