Annonce En réévaluant le yuan, la Chine veut montrer sa bonne volonté Avec une mesure largement attendue, mais dont le timing a surpris tout le monde, la banque centrale chinoise a annoncé, jeudi 21 juillet, que le yuan serait réévalué de 2,1 %, et qu'un "régime de change flottant basé sur la loi de l'offre et de la demande" serait adopté. Dans les faits, le yuan est décroché de sa parité fixe (le "peg") qui le liait au dollar pour évoluer avec une marge de 0,3 % autour du billet vert, et de 1,5 % autour d'un panier de devises la banque centrale chinoise n'ayant pas précisé lesquelles. Le dollar vaut désormais 8,11 yuans, contre 8,28 auparavant. Du change fixe au "flottant contrôlé" 1948 : le yuan a vu le jour le 1er décembre 1948, avec la naissance de la Banque populaire de Chine. Après la victoire des communistes fin 1949, le taux de change est de 600 yuans pour un dollar. Les Chinois l'appellent "renminbi" (prononcez "djeminbi"), dont la traduction est "monnaie du peuple". 1953 : entre 1953 et 1972, dans une économie communiste centralisée et planifiée, la monnaie est fixée à 2,42 yuans pour un dollar, un niveau artificiel. 1973 : après le premier choc pétrolier, les pays développés adoptent un système de change flottant. Dans le même temps, la Chine accroche de manière non officielle sa monnaie à un panier de devises afin d'éviter les trop grandes fluctuations. De 2,46 yuans pour un dollar en 1973, la monnaie chinoise passe à 1,50 yuan. 1980 : avec l'ouverture et la libéralisation progressive de l'économie, dans les années 1980, la Chine instaure un système dual ; le renminbi est utilisé par les Chinois tandis que les étrangers utilisent les Foreign Exchange Certificates (FEC). 1993 : la Chine opère une dévaluation brutale, le dollar vaut alors 5,8 yuans. En 1994, le pays adopte ce qu'il appelle un "taux de change flottant contrôlé". Le taux fluctue autour de 8,276 yuans pour 1 dollar, dans une fourchette de plus ou moins 0,3 %. Pour maintenir sa monnaie dans ces limites, la banque centrale intervient chaque jour. [-] fermer C'est la première fois depuis 1994, année où elle avait procédé à une dévaluation de près de 33 %, que la Chine modifie la valeur de sa monnaie, qui reste soumise à un contrôle des changes très strict, assimilable à une inconvertibilité de facto. Pressé par les Etats-Unis, mais aussi, dans une moindre mesure, par l'Europe, le gouvernement chinois a visiblement tenu à lâcher du lest. En 2003, Alan Greenspan, le président de la Réserve fédérale américaine (Fed), affirme, pour la première fois, que le régime des changes fixes fait courir à la Chine des risques d'inflation. Au G7 des ministres des finances de la même année, les Etats-Unis font adopter une déclaration en faveur de taux de change plus flexibles. A chaque sommet, le ton se fera de plus en plus pressant. En 2004, le Japon se lance dans une campagne tenace de persuasion auprès des dirigeants chinois. Pendant ce temps, la Chine accumule des réserves records de devises étrangères. Elle achète aussi en masse des bons du Trésor américains. En 2005, l'arrêt des quotas textiles et l'augmentation brusque des exportations chinoises provoquent une nouvelle levée de boucliers. Il ne se passe pas une semaine sans que la presse internationale ne rapporte les propos d'un politicien ou d'un économiste en faveur d'une réévaluation de la devise chinoise. A l'occasion du dernier Forum Asie-Europe (ASEM), à Tianjin, en juin, le yuan est de nouveau au centre des débats. Un mois avant le G8 de Gleneagles, Washington, pressé par le lobby de la National Association of Manufacturers (NAM), lance un ultimatum à la Chine : si le yuan n'est pas réévalué d'ici à octobre, le pays risque d'être considéré comme un "manipulateur de devises" et s'expose à des représailles. Face au déficit commercial qui se creuse entre les Etats-Unis et la Chine, le Sénat américain se prononce une première fois en faveur d'une législation qui prévoirait une hausse de 27,5 % des droits de douane pour les produits chinois. En juin, le projet est finalement ajourné, mais la Chine a senti le vent du boulet. Plus récemment, deux autres dossiers sont venus jeter encore un peu d'huile sur le différend sino-américain : l'offre de rachat du groupe pétrolier américain Unocal par le pétrolier chinois Cnooc, ainsi qu'un rapport du Pentagone s'alarmant de la modernisation de l'armée chinoise. Le geste de Pékin, pour symbolique qu'il soit il est communément admis que le yuan serait sous-évalué (au minimum) de 20 % par rapport au dollar , apparaît néanmoins comme une concession de taille, alors que l'exacerbation vis-à-vis de la Chine est à son comble aux Etats-Unis. "Je me réjouis de l'annonce de la Chine d'adopter un régime des changes plus flexible. La réforme de la devise chinoise est importante pour la Chine et pour le système financier international" , s'est félicité jeudi John Snow, le secrétaire américain au Trésor. Les dirigeants chinois seront restés constants au fil des ans. S'ils s'étaient engagés à modifier le cours de leur monnaie, ils souhaitaient le faire à leur rythme. Les économistes, chinois comme étrangers, font valoir que Pékin souhaite d'abord mener à bien l'assainissement de son système bancaire, grevé par les mauvaises créances, avant de procéder à une réévaluation. Ses établissements financiers doivent être prêts à l'ouverture du secteur bancaire aux étrangers en 2006. Une partie des réserves de devises est donc employée, depuis 2004, à recapitaliser les banques. Si la Chine s'engage plus avant sur une réforme de ses taux de change, elle risque de voir ce pactole diminuer. En outre, une réévaluation trop brusque pose le risque malgré le contrôle des changes d'une fuite des capitaux par le biais des sous-facturations ou surfacturations auxquelles procèdent les entreprises qui souhaitent sortir de l'argent de Chine. Quand, en mars 2005, le premier ministre, Wen Jiabao, a déclaré qu'une réforme du yuan pourrait "se produire de manière inattendue" , beaucoup ont cru que le moment était venu. Mais la réévaluation attendue n'avait pas eu lieu. Les autorités chinoises ont donc réussi à surprendre jeudi. La veille, on pouvait ainsi lire sur le forum économique en ligne de Morgan Stanley, deuxième banque d'affaires mondiale, qu'une réévaluation était devenue "moins imminente" . Les experts restent aujourd'hui partagés. En ne réévaluant sa monnaie que de 2,1 %, Pékin va vite se retrouver dans l'oeil du cyclone, et les pressions extérieures pour une appréciation plus forte du yuan vont reprendre. C'est le rythme auquel elle procédera qui fera la différence. Quoi qu'il en soit, la Chine, en réévaluant, a donné raison, pour la première fois, aux spéculateurs. Or, depuis 2003, le pays capte du "hot money" ("argent chaud"), c'est-à-dire des investissements, notamment dans l'immobilier, qui spéculent sur la hausse du yuan. Ce phénomène, hautement déstabilisant pour l'économie car ces capitaux sont susceptibles de se retirer très vite et dénoncé sans relâche par les autorités chinoises a tout lieu de redoubler d'intensité, dans l'espoir d'une nouvelle hausse. C'est pour décourager ce genre de comportements que la Chine a récemment imposé aux investisseurs étrangers de garder leur argent dans les banques chinoises en devises, et non en yuans. Certaines grandes sociétés voient donc aujourd'hui le coût d'un investissement programmé depuis longtemps se renchérir de 2,1 %. L'actuelle réévaluation du yuan est également insuffisante pour jouer son rôle de frein sur une économie toujours en surchauffe le produit intérieur brut (PIB) a bondi, selon les statistiques officielles, de 9,5 % au deuxième trimestre 2005. On peut toutefois douter que la Chine accélère le rythme. Il y a tout lieu de croire qu'elle en restera, pour un certain temps, à cette réforme préliminaire. En octobre 2004, le premier relèvement des taux d'intérêt en neuf ans avait été considéré comme insuffisant pour freiner l'économie. On pensait que d'autres suivraient, qui ne se sont jamais concrétisés. L'ouverture de la Chine, en matière de macroéconomie, se fait à petite dose, tant les risques de déstabilisation effraient le pouvoir.