Début du Printemps de Bourges Echaudés, il y a quelques années, par le public trouble-fête des concerts de rap de rue, les programmateurs du Printemps de Bourges, qui attendent pour la 29e édition de leur festival près de cent cinquante musiciens du 19 au 24 avril, préfèrent dorénavant explorer la veine paisible d'un hip-hop plus expérimental. Plus proche aussi des chambres d'étudiant que de l'asphalte, des classes moyennes que du ghetto, cette alternative produit des univers singuliers. Des DJ ou tchatcheurs américains (Boom Bip, Prefuse 73, Beans) en témoigneront durant le festival berrichon qui accueillera aussi les Français TTC et Klub des loosers. Public et artistes aux Rencontres du "Monde" Pour la deuxième année consécutive, le Printemps de Bourges et Le Monde se sont associés pour accueillir des rencontres entre artistes et public. Sont ainsi attendus lors de ces rendez-vous quotidiens animés par des journalistes du Monde : Le Peuple de l'herbe, Françoiz Breut (mercredi 20 avril) ; Tiken Jah Fakoly, Bernard Lavilliers (jeudi 21) ; Gojira, Le Klub des loosers (vendredi 22) ; Asian Dub Foundation (samedi 23). Une partie de ces débats sera retransmise à partir du 21 avril sur l'ensemble des antennes de la fédération de radios de la Ferarock. Des extraits des concerts, filmés la veille par des étudiants de l'Ecole nationale supérieure d'art de Bourges, seront projetés et commentés avant les rencontres avec les artistes. Ces vidéos seront chaque jour en ligne sur le site www.lemonde.fr. Du mercredi 20 au samedi 23 avril, auditorium du Muséum de Bourges, à 15 h 30. Entrée libre. [-] fermer Looser en chef, le frêle Fuzati (26 ans) se cache, un peu à la manière des Daft Punk, derrière un masque blanc : "J'ai envie de rester anonyme, explique-t-il, d'observer, de rester dans la vraie vie." Ami du même âge, Teki Latex de TTC, qui avant Bourges jouera à l'Elysée-Montmartre de Paris, le 21 avril, possède lui une carrure et une bouille d'ogre qui ne passent pas inaperçues. Il a découvert le rap dans un lycée bilingue du 15e arrondissement de Paris, approvisionné par des camarades américains. Sensible au gangsta rap et aux tendances les plus inventives de l'underground, cet ancien étudiant en lettres s'est consacré à ses rimes dans la seconde moitié des années 1990. "A la formation de TTC - avec Tido Berman, Cuizinier et, plus tard, Orgasmic -, se souvient le gentil géant, le rap français commençait à se figer dans les codes du rap de rue. Nous ne voulions pas nous inventer un passé de 'caillera' (racaille), nous ne pouvions donc pas être acceptés par ce circuit. Il fallait créer autre chose." "PETIT BLANC" Fils d'une famille protestante de la moyenne bourgeoisie versaillaise, Fuzati s'est très tôt pris de passion pour l'avant-garde hip-hop, l'art du scratch et du sample. "Je me précipitais dans les magasins spécialisés des Halles pour récupérer des maxis reçus en import. J'avais parfois l'impression d'être un petit Blanc juste toléré. J'en ai aussi souffert quand j'ai commencé à rapper." Même sans cette culture de bande qui a permis au hip-hop des cités de générer tant de collectifs, ces émules français des Beastie Boys (premières stars blanches et estudiantines du rap américain) allaient vivre des aventures communautaires. Considéré comme le parrain et théoricien de ce mouvement, Teki Latex a beaucoup fait pour rapprocher ceux qui se sentaient exclus de la tendance dominante du rap français. "Si tu ne fais rien pour le rap, le rap ne fera rien pour toi, dit une règle tacite du hip-hop. Petit à petit, une scène s'est constituée grâce aux forums sur Internet, à des émissions de radio, aux studios d'enregistrement des uns et des autres, ou à un lieu de concert comme le Batofar", se souvient Teki Latex. Souvent tentés par les croisements entre hip-hop et musiques électroniques, des groupes comme TTC, Klub des Loosers, La Caution ou Hustla, des producteurs comme James Delleck, Para One ou Tacteel s'agitaient sur scène, dans des compilations ­ - l'historique L'Antre de la folie ­ - ou lors d'un disque collectif fondateur comme celui de L'Atelier ­ - TTC étant par ailleurs à l'initiative du label Institubes. Vive la vie, premier album du Klub des Loosers, a été produit en 2004 par Record Maker, label créé par le groupe Air, duo versaillais devenu vedette internationale de la pop française. Fuzati y développe un concept particulier : "Le rap est d'abord une façon de raconter des histoires. Pourquoi ne devraient-elles concerner que la culture de rue ? Je veux parler de l'ennui d'une ville comme Versailles, montrer le flip de la classe moyenne, la misère sexuelle de l'adolescence. Pour cela, j'utilise le principe d'un ego-trip -l'art de la vantardise cher au rap- inversé." Scandés d'une voix presque de fausset, les textes (Le Manège des vanités et Sous le signe du V sont irrésistibles) du démiurge des Loosers font penser à du Vincent Delerm (pour les sociotypes) chanté par Eminem (pour la cruauté). Signé par le label anglais Big Dada (branche hip-hop de l'avant-gardiste Ninja Tune), TTC travaille un autre registre. Après Ceci n'est pas un disque, le groupe a sorti, en 2004, Bâtards sensibles, son deuxième album, orgie de rythmes électro-dingos et de rimes qui jouent avec les mêmes obsessions sexuelles (poussées jusqu'au surréalisme) que les hymnes les plus commerciaux du rap américains. "Pourquoi, revendique Teki Latex, devrions-nous rester humbles et discrets sous prétexte que nous venons de la classe moyenne ? Si certains morceaux sont plus désespérés ou introspectifs, nous voulons pouvoir aussi être des branleurs arrogants, parler de sexe et de grosses voitures. Nous nous intéressons à la chatoyance pop des tubes de club comme aux expériences les plus pointues des musiques électroniques." Avant de finaliser des projets solos ­ - celui de Teki Latex, plus orienté "chanson pop", sera produit par Gonzales et Renaud Letang (Jane Birkin, Feist...) - ­, TTC poursuit sa copieuse tournée (plus de cent dates en un an). Son concert, le 23 avril, sous le chapiteau de Bourges, sera le plus gros de sa jeune carrière. Klub des loosers (avec Airborn Audio, Busdriver, Beans) au 22 Ouest, le 22 avril, 16 € TTC ; (avec Mass Hysteria, LCD Soundsystem, Asian Dub Foundation...), au Phénix, le 23 avril, 26 €. Informations et programme complet du festival, tél. : 02-48-27-28-29.