Premier/e Dominique Martin, du CHU de Bordeaux, dirige aujourd'hui une première mondiale. Entretien.11 minutes de chirurgie en apesanteur Le professeur Dominique Martin, chef du service de chirurgie plastique a centre hospitalier universitaire de Bordeaux, réalise ce matin avec son équipe une première mondiale : pratiquer une opération chirurgicale e apesanteur, à bord de l'Airbus A 300 Zéro-GComment est né le projet de cette opération ? J'ai toujours eu envie de vivre la sensation d'apesanteur. Je voulais être chirurgien, mais astronaute ne m'aurait pas déplu. D'où l'idée de proposer ce projet au Centre national d'études spatiales (Cnes). Nous y travaillons depuis plus de trois ans. Le premier test de faisabilité a eu lieu en 2003, avec une suture d'artère de rat de 0,5 mm de diamètre. C'est l'un des gestes les plus délicats de la chirurgie, qui correspond à une intervention sur le doigt d'un enfant d'un an. Nous voulions prouver que la chirurgie en apesanteur est possible. Aujourd'hui il s'agit moins d'un exploit technique que d'un essai de faisabilité afin de montrer que nous disposons des outils adéquats pour l'homme.Comment se déroule cette journée ? Le patient, Philippe Sanchot, va être opéré d'un lipome, une petite boule graisseuse d'environ trois centimètres de diamètre sous la peau de l'avant-bras. C'est une intervention bénigne. Il sera anesthésié localement au sol. Puis nous décollerons à 9 heures. Nous avons 1 h 30 de vol pour nous rendre soit au-dessus de l'Atlantique, soit au-dessus de la Méditerranée, selon les conditions climatiques. Et c'est parti pour une heure de paraboles. Il y aura trente et une séquences qui permettent à chaque fois de recréer l'apesanteur pendant 22 secondes. Au total, l'opération ne devra donc pas excéder 11 minutes. Tout doit être extrêmement bien calé.Quelles sont les contraintes techniques ? Le challenge était de parvenir à créer un bloc opératoire aux normes spatiales. Nous travaillons dans une structure de deux mètres sur deux. Tout le matériel d'anesthésie et de réanimation est fixé dans des structures sur mesure. Les instruments, eux, sont fixés à la table d'opération par des aimants puissants. Et nous utilisons des harnais de contention, avec sangles et mousquetons rattachés à des rails au sol. Il s'agit d'un prototype réalisé avec des spécialistes d'ascenseurs. D'autre part, le corps du patient réagit lui aussi aux conditions d'apesanteur. Le débit cardiaque diminue, ce qui crée des contraintes vasculaires. Le sang ne pulse plus de la même façon. Surtout, il s'écoule de la plaie en sphères. Il a donc fallu créer un aspirateur spécial afin de le retenir.Comment avez-vous préparé l'intervention ? Toutes les précautions ont été prises. Les systèmes d'éclairage, d'asepsie, de suture, ont été doublés ou triplés pour parer aux défaillances. Deux chirurgiens me suppléent, en cas de malaise, et il y a deux anesthésistes pour les mêmes raisons. Nous avons déjà douze vols derrière nous. Beaucoup de choses ont été affinées. Des tests ont été réalisés sur les perfusions, le massage cardiaque, l'intubation, la ventilation, etc. Il n'y a aucun risque pour le patient.Quelles perspectives ouvrent cette première opération en apesanteur? Notre expérience est une base pour développer la téléchirurgie. Le but, à terme, sera de pouvoir envoyer notre bloc prototype sur la Station spatiale internationale ou dans une future station lunaire. Car, aujourd'hui, en cas d'urgence absolue là-haut, un hématome intracrânien par exemple, nous n'avons pas de réponse. Et tôt ou tard le problème va se poser. Il faudra donc que nous puissions avoir recours aux robots, pilotés du sol et épaulés par un médecin anesthésiste embarqué. Aujourd'hui, le robot ne sait pas intervenir en apesanteur. On fait l'apprentissage. Puis on le programmera pour travailler à notre place. L'armée française possède un robot que nous pourrions utiliser. Les discussions sont en cours pour créer une interface satellitaire afin de le faire fonctionner.Y aura-t-il des applications terrestres ? Bien sûr, on pourra utiliser les mêmes équipements et la même technologie dans tous les lieux inaccessibles : les bases polaires, les navires, les sous-marins, la jungle. Du reste, l'idée est née avec la région Aquitaine d'adapter nos outils opératoires pour créer un bloc pliable, démontable par deux personnes en une demi-heure. Il est pensé pour faire face à tout type d'urgence médicale, même majeure, avec tout le matériel intégré dans la table d'opération elle-même. Cela pourrait être très utile en particulier pour les organisations humanitaires.
