Procès Dix-sept adultes sont jugés à partir de ce mardi devant les assises du Pas-de-Calais sans preuves matérielles pour "viols, tortures et actes de barbarie" sur une quinzaine d'enfants. Les faits présumés se seraient déroulés dans le quartier défavorisé de La Tour du Renard, à Outreau. Mis en ligne le 03 mai 2004   Pour aller plus loin   Outreau : arrêt des fouilles (12/01/2002) LES FAITS PRESUMES Ils se seraient déroulés en 1995 et 2000 dans l'appartement de Thierry et Myriam Delay, au dernier étage de la résidence des Merles, dans le quartier HLM de la Tour du Renard, à Outreau, près de Boulogne-sur-Mer. Le couple vit alors d'allocations, dans un univers où l'alcool et la pornographie sont omniprésents. Le père, très violent, bat ses fils et les viole régulièrement. Le couple aurait tout d'abord "loué" ses quatre enfants à des créanciers pour éponger ses dettes. Deux ménages voisins auraient ensuite fait de même, transformant les soirées en orgies pédophiles. Les viols auraient été filmés et les cassettes revendues. Au total, une quinzaine d'enfants du secteur, âgés de quatre à douze ans, auraient été abusés, avec l'assentiment de leurs parents. UNE DOUBLE VAGUE D'ARRESTATIONS Fin 2000, alors que les enfants Delay sont placés dans une famille d'accueil depuis quelques mois, le personnel de l'école où ils sont scolarisés alerte les services sociaux sur leur comportement bizarre. Ils s'introduisent notamment des crayons et les doigts dans l'anus. L'information remonte jusqu'au procureur de Boulogne. Début janvier 2001, il ouvre une enquête qui aboutit notamment au placement de plusieurs jeunes du quartier de la Tour du Renard. Surtout, les enfants Delay racontent leur histoire : "Des gens faisaient des bêtises sur nous", "des hommes et des femmes donnaient de l'argent à papa pour faire l'amour avec nous". Fin février, Thierry et Myriam Delay, trois couples de voisins et une boulangère sont arrêtés dans la plus grande discrétion. Basée sur les témoignages des victimes et ceux de Myriam Delay, une seconde vague d'arrestations a lieu en novembre 2001. Elle concerne surtout les "clients", dont la plupart sont des notables, notamment un huissier, sa femme, infirmière scolaire, un prêtre-ouvrier et un chauffeur de taxi. Au total, dix-huit personnes seront mises en examen dans le dossier. Après une instruction controversée, bercée par les rumeurs visant des personnalités locales, dix-sept sont renvoyées aux assises en juillet 2003–la 18e s'est suicidée en prison. PAROLE CONTRE PAROLE Presque tous les prévenus nient leur participation aux faits -l'huissier et le prêtre-ouvrier ont notamment suivi une grève de la faim pendant leur incarcération. Les enquêteurs n'ont retrouvé aucune preuve matérielle, notamment les supposées vidéos des orgies. Selon Myriam Delay, elles auraient été détruites entre le placement définitif de ses enfants en famille d'accueil et les premières arrestations. Tout le dossier repose donc sur les témoignages des enfants -les expertises ont montré qu'ils avaient bien été victimes d'abus sexuels et que leurs récits sont plausibles- et sur les aveux de quatre adultes, notamment ceux de Myriam Delay. Plusieurs failles subsistent néanmoins : à la demande de leur mère, pour "éviter que papa n'aille en prison", les enfants Delay ont impliqué des personnes qui n'ont finalement pas été renvoyées aux assises. Deux des adultes sont également revenus sur leurs aveux. Surtout, Myriam Delay, présentée comme une "manipulatrice" par certains de ses co-prévenus, a souvent varié dans ses déclarations. Dans le passé, elle a même tenté de faire condamner un homme pour pédophilie en lançant de fausses accusations. Les psychiatres ont néanmoins conclu à sa crédibilité. UN DRAME EVITABLE ? Une famille connue des services sociaux Le couple Delay était loin d'être inconnu. Dès 1992, il est suivi par la DASS ou la Protection de l'Enfance pour de mauvais traitements. Les quatre garçons seront confiés temporairement à plusieurs reprises à des familles d'accueil. Mais ce n'est qu'en février 2000 que leur garde est définitivement retirée aux parents, avec toutefois un droit d'hébergement le week-end, qui sera supprimé à l'automne. Il semble que les enfants aient encore subi des viols jusqu'à cette période. La loi du silence Les voisins se doutaient-ils de quelque chose ? Les allées et venues, les comportements des enfants et surtout le bruit -tout s'entend dans l'immeuble- ne sont sûrement pas passés inaperçus. Mais Thierry Delay, homme violent, faisait peur. UN MEURTRE IMAGINAIRE Début janvier 2002, un prévenu, Dany Legrand, affirme qu'une fillette belge, d'origine maghrébine, aurait été tuée par Thierry Delay lors d'une soirée qui aurait dégénéré. Il explique que le corps aurait Des fouilles pour un meurtre imaginaire ? AFP-Philippe Hughen- ensuite été enterré dans un jardin-ouvrier appartenant aux Delay. Des recherches sont menées à la pelleteuse, faisant surgir le spectre de l'affaire Dutroux, à quelques kilomètres de la frontière belge. L'émotion est considérable, mais les fouilles ne donnent rien, tout comme l'enquête ouverte en Belgique. Et pour cause : quelques semaines plus tard, Dany Legrand revient sur son témoignage et explique qu'il a tout inventé. Le dossier "meurtre", disjoint, est toujours à l'instruction. Mais il est symptomatique du climat qui règne sur l'affaire. LE PROCES"Hors-norme, sans les repères habituels", il s'ouvre ce lundi 3 mai devant la cour d'assises du Pas-de-Calais à Saint-Omer. Les débats, à huis clos, devraient durer jusqu'à la mi-juin environ. Plusieurs associations de protection de l'enfance sont parties civiles. Les accusés risquent jusqu'à vingt ans de prison.