Scandale Dieudonné s'empêtre dans l'antisémitisme au nom des Noirs L'humoriste reproche au "lobby sioniste" de revendiquer "l'unicité de la souffrance" empêchant l'émergence de la mémoire de la traite des Noirs. La polémique intervient quand des enfants d'immigrés revendiquent une place pour l'histoire de l'esclavage et de la colonisationIl a choisi son théâtre, celui de la Main-d'Or, dans le XIe arrondissement de Paris. Rameuté son fan-club - plus quelques figures de l'antisionisme radical, comme, à l'accueil, Ginette Skandrani, proche du négationniste tunisien Mondher Sfar. Il a apporté ses cassettes vidéo, aussi. Samedi 19 février, pour sa conférence de presse improvisée, Dieudonné avait installé deux écrans de télévision et montré deux petits extraits de celle qu'il a donnée, mercredi 16 février à Alger, à l'occasion de la tournée de son spectacle "Mes excuses". Il veut prouver que ce n'est pas la Shoah qu'il a associée à une "pornographie mémorielle", comme l'a rapporté le site d'information en ligne Proche-Orient. info, mais sa commémoration.Le matin même, dans un entretien au quotidien algérien L'Expression (du 19 février), l'humoriste déclarait encore : "Les sionistes ont une sorte d'impunité. Eux, dans une école, il suffit qu'un petit soit traité de sale juif pour que tout le monde se lève. Pour moi, le sionisme, c'est le sida du judaïsme."Les propos de l'humoriste à Alger ont fait sursauter la presse française, et conduit le ministre de la justice, Dominique Perben, à demander, vendredi, l'ouverture d'une enquête préliminaire pour "contestation de crimes contre l'humanité" (Le Monde daté 20-21 février), au risque de devoir modifier cette qualification. Dieudonné, en effet, nie. "Je n'ai pas prononcé cette phrase qui est insultante pour la mémoire de la Shoah et qui tombe sous le coup de la loi."En Algérie, trois jours plus tôt, il avait insulté le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), qu'il avait traité d'"équipe de malfrats" et de "mafia",et égrené tous les poncifs de l'antisémitisme. Mais, de fait, il n'avait pas nié l'extermination des juifs durant la seconde guerre mondiale. "J'ai dénoncé "l'hypertrophie" qui existe dans la communication sur la commémoration de la Shoah", s'est-il justifié samedi, s'abritant derrière - et détournant - le livre d'une historienne israélienne, Edith Zertal, intitulé La Nation et la mort, la Shoah dans le discours et la politique d'Israël (La Découverte, 2004)."J'espère que le garde des sceaux va effectivement ouvrir une enquête, et je m'y associe. Les accusations portées contre moi sont graves", a lancé Dieudonné, samedi. Il s'en est pris à la presse. "Pas la presse pourrie", dit-il, mais une "presse gourmande et gloutonne", qui, selon lui, rejoue le "RER D bis" - en référence à la fausse agression antisémite inventée par Marie Leblanc en juillet 2004, et qui avait fait immédiatement réagir le chef de l'Etat."JAMAIS CONDAMNÉ"La salle lui est acquise. "Qui s'est permis de colporter cette phrase ? Il s'agit d'une manipulation d'un petit organe communautaire qui s'appelle Proche-Orient.info, un site que tout le monde utilise comme si c'était une agence de presse. J'espère que Dominique Perben trouvera l'auteur de cette phrase infâme." "Est-ce que Proche-orient.info est là ?", demande une voix menaçante."Je n'ai jamais été condamné. Comment se fait-il que la presse se veuille au-dessus des lois ?", reprend l'humoriste. Ses propos ont pourtant suscité, ces derniers jours, de vives protestations des responsables politiques. Le porte-parole du gouvernement, Jean-François Copé (UMP), estime ainsi que Dieudonné a "définitivement quitté le registre du comique pour celui de l'indignité". Le premier secrétaire du PS, François Hollande, et Harlem Désir ont appelé au boycottage des spectacles de l'humoriste. "C'est aujourd'hui l'un des plus grands antisémites de France", affirme le député européen socialiste."Jusqu'à présent, les poursuites engagées contre lui soit par le procureur de la République, soit par des associations se sont conclues par des relaxes", confirme son avocat, Me François Roux. En 2004, il avait comparu pour "diffamation publique à caractère raciste" à la suite d'une plainte déposée par le parquet après un sketch douteux, sur le plateau de "On ne peut pas plaire à tout le monde". En treillis, chapeau noir et papillotes, Dieudonné avait lancé un appel aux "jeunes gens dans les cités (...) à rejoindre l'axe américano-sioniste qui vous offrira beaucoup de débouchés", et salué, bras tendu, "Israël !" - ou "Israheil". Le procureur avait requis une amende de 10 000 euros, mais Dieudonné avait une nouvelle fois été relaxé. Benoît Delepine, pionnier des "Guignols de l'info" sur Canal+ ; Christophe Alevêque, qui travaille avec Laurent Ruquier ; Robert Ménard, président de Reporters sans frontières, étaient venus le défendre à la barre, au nom de la liberté de l'humoriste et de la liberté d'expression.Ariane CheminProche-orient.info à l'origine de la polémiqueJeudi 17 février, à 16 h 16, Proche-orient.info, quotidien électronique créé en 2002 par Elisabeth Schemla et Nicole Leibowitz - ex-rédactrices en chef du Nouvel Observateur -, spécialisé sur le Proche-Orient, la laïcité, l'islamisme et l'antisémitisme, annonce qu'il a "enregistré intégralement en audio -la- conférence de presse à Alger" de Dieudonné. Le site explique alors que, pour l'humoriste, "la Shoah est "une pornographie mémorielle"". Depuis, il a mis en ligne, samedi, la vidéo de la conférence de presse et corrigé son titre, précisant que Dieudonné visait "la mémoire de la Shoah".
