Découverte Deux peintures romaines resurgissent du passé Les archéologues ne se contentent pas de fouiller le sol, il leur arrive parfois de retourner des greniers avec bonheur. Deux magnifiques peintures romaines que l'on croyait perdues viennent ainsi d'être "mises au jour" en explorant le grenier de Kingston Lacy, un petit château britannique du Dorsetshire qui a appartenu au voyageur-égyptologue-collectionneur William John Bankes (1786-1855). En 1816, celui-ci se rend à Sidon - en Syrie à l'époque, au Liban aujourd'hui - et visite un tombeau romain souterrain, découvert deux ans auparavant grâce à... un dromadaire passé au travers de l'entrée enfouie. Entre chacune des dix niches à sarcophages qui composent cette grande chambre funéraire, les parois sont peintes de neuf personnages en pied, qui passionnent Bankes au point qu'il en exécute des copies à l'aquarelle, à la lueur d'une chandelle tenue par un domestique. Puis l'Anglais dépose les deux fresques les plus faciles à détacher de la paroi. Comme l'explique la spécialiste de la peinture romaine Alix Barbet, directrice de recherches au laboratoire d'archéologie d'Orient et d'Occident (CNRS-Ecole normale supérieure), "cette pratique est courante à l'époque. Bankes est un savant de type colonial : il emporte avec lui les plus belles pièces". "SIGNE D'UNE FAMILLE RICHE" Les aquarelles sont rangées dans une boîte métallique et les fresques dans une caisse en bois. Bankes poursuit son voyage au Proche-Orient tandis que ses bagages sont expédiés dans le Dorsetshire. Et, comme s'ils s'étaient perdus en route, personne n'en entend plus parler. Jusqu'en 1997. Cette année-là, à Kingston Lacy, qui fait l'objet d'un long programme de restauration et de conservation, les aquarelles sont retrouvées dans le fatras qu'était devenue la collection de William Bankes. Aujourd'hui, nouveau coup de théâtre, c'est au tour des deux peintures de revoir le jour. L'ensemble, qu'ont étudié Alix Barbet ainsi que le spécialiste britannique du Liban Norman Lewis dans un article qui paraîtra dans la prochaine livraison de la revue Syria, permet de ressusciter la chambre funéraire de Sidon. Beaucoup de tombeaux romains ont été découverts dans la région mais, comme l'explique Alix Barbet, "seul un sur dix ou un sur vingt était peint, signe d'une famille riche ou influente". Le maître de maison est représenté sur le mur du fond, face à l'entrée. Il déroule un volumen, montrant ainsi qu'il cultive les muses et est donc promis à l'éternité. Il est probable que son sarcophage reposait dans une des deux niches adjacentes. Le défunt est accompagné de sa maisonnée. Deux personnages féminins l'entourent, dont l'un est une femme voilée - donc mariée et peut-être son épouse. Sur les six autres panneaux figurent des serviteurs, sous les traits d'hommes jeunes et beaux qui semblent converger vers le maître de maison. Ces esclaves portent des plats, car le banquet constitue l'activité sociale qui témoigne le mieux du "standing" des Romains. SURNOMS ET JEUX DE MOTS "Ce qu'il y a d'exceptionnel, assure Alix Barbet, c'est la qualité des peintures, mais aussi le fait qu'elles sont accompagnées d'inscriptions. Chaque serviteur porte un nom, écrit en grec, car nous nous trouvons dans la sphère culturelle hellénistique." Comme l'a montré Pierre-Louis Gatier, du CNRS, il s'agit en fait de surnoms, avec parfois des jeux de mots. Oinophilos, "celui qui aime le vin", devait servir la boisson ; Pétènos, "ailé", apporte une volaille ; Néréus et Hélicon, deux allusions à des divinités marines, portent des poissons dans leurs plats ; Glykôn, "sucré", devait s'occuper des douceurs, même si l'on ne peut le voir. Le moins parlant est Kalokéros, "le bon moment", peut-être une référence à l'instant où ont été tués les deux oiseaux qu'il apporte. Pour Alix Barbet, la redécouverte des deux fresques est importante car, à partir des seules aquarelles de William Bankes, il était impossible de se faire une idée juste tant du style du peintre que de l'époque à laquelle il avait travaillé. Les originaux d'Oinophilos et de Kalokéros montrent les couleurs réelles, la patte robuste d'un artiste habile, dessinant les visages avec un front triangulaire, un nez très droit bordé d'une ombre profonde qui ne contredit cependant pas une allure efféminée. Des caractéristiques qu'Alix Barbet a pu rapprocher de fresques trouvées dans un autre tombeau non loin de là, dans la campagne de Tyr, et dont la datation exacte a pu être donnée grâce à des monnaies et à des lampes du milieu du IIe siècle. Heureuse d'avoir pu étudier ces fresques miraculeusement resurgies du passé, la chercheuse française regrette la perte du reste. Mais on ne sait tout simplement plus où se situe le tombeau de Sidon...