Condamnation Deux ans avec sursis pour Léonie Crevel, mère «vaillante»Clémence de la cour d'assises pour l'octogénaire qui avait tué en 2004 sa fille profondément handicapée.L'avocate générale est jeune et très jolie. Des cheveux de poupée, de yeux de porcelaine, de la grâce. Parfois, elle laisse paraître un peu d sentiment, mais toujours sur le ton de la bienséance. Elle est là pou rappeler à la société, avec ses mots choisis, que «personne ne dispose de mettre un terme à la vie d'autrui». C'est plus qu'un principe. C'est la loi. Avec cette magistrate, le monde tourne comme il faut : il y a d'un côté ce qu'on a le droit de faire, de l'autre, ce qui est interdit. Pour elle, l'interdit est ce qu'a fait Léonie Crevel, 80 ans.«Soulagée». Menue silhouette écrasée sous les plafonds historiques de la cour d'assises de Rouen, la vieille femme, les cheveux en bataille, voûtée au bas du box des accusés, pleure en silence la mort de sa fille. Il y a deux ans, Léonie a pendu Florence, 44 ans, parce qu'elle ne supportait plus sa «vie de souffrances». Son enfant, dont elle s'occupait seule, était handicapée profonde, aveugle, débile, épileptique, incontinente, grabataire. La liste n'en finirait plus, récapitulée depuis lundi par les médecins experts ( Libération d'hier). Un jour que Florence traversait une crise particulièrement violente, Léonie a attaché une corde au montant du lit médicalisé, l'a enroulée autour du cou de sa fille, a basculé le matelas et a dit «c'est moi» à l'arrivée des gendarmes. Elle a ajouté qu'elle-même était «soulagée», et qu'elle ne regrettait rien.Alors, la tâche n'est pas trop difficile pour l'avocate générale. «On peut éprouver une certaine compassion pour Léonie Crevel, consent-elle, mais les faits sont là. Ça n'a absolument rien à voir avec l'euthanasie, pendre quelqu'un n'est pas un acte d'euthanasie, il y a un formalisme protocolaire, la loi est extrêmement exigeante. Un débat de société n'a pas sa place ici.» La vieille Léonie, abandonnée par ses parents à sa naissance, bonne à tout faire à 16 ans, mariée à 20 ans, mère de huit enfants Florence était la dernière ouvrière pendant plus de quinze ans, a agi «en parfaite connaissance de cause». Elle a «fait preuve d'un sang-froid indéniable». «A défaut de préméditation, il y a eu une très grande détermination.» Détermination qui devient un délit pour l'avocate générale. Et de décrire la «corde à trois fils, avec les mousquetons», objet du «crime», et d'argumenter : «Florence n'a jamais demandé à ce que sa vie soit abrégée. Léonie Crevel n'avait aucune légitimité à lui ôter le droit à la vie.» Hier, par hasard presque tous les jurés étaient habillés en noir. Emus, silencieux, attentifs. Un ou deux pleuraient. L'avocate générale fait appel à leur raison. «Vous êtes les garants de la loi.» Elle les avertit que, s'ils ne la suivent pas dans ses réquisitions, «on ouvre la porte à tous les débordements. Sinon toutes les personnes dans l'état de Florence Crevel seraient en danger. Toutes les personnes âgées grabataires seraient en danger» . La magistrate ne veut pas de prison ferme, bien sûr, elle demande cinq ans avec sursis. Elle a reconnu l'état d'épuisement physique et psychologique de cette mère si «vaillante». Mais elle est formelle : «Le drame aurait été évité» si Léonie avait accepté un «cadre spécialisé» pour sa fille.Scrupuleuse. Léonie a toujours refusé de l'aide. Comme celle de ces infirmières qui ne pouvaient pas venir faire la toilette de sa fille avant midi. C'était trop tard pour elle, si scrupuleuse, on ne laisse pas Florence avec des couches sales toute la matinée. Elle avait aussi refusé son admission dans des centres de long séjour. «Je ne veux pas qu'ils s'en servent de cobaye», disait-elle.L'avocat de Léonie, Jean-François Titus, demande l'acquittement de sa cliente, et se met en colère : «Vous ne pouvez pas assurer qu'une aide quelconque aurait pu empêcher la mort de Florence. Comment appelle-t-on les centres pour les handicapés profonds de 20 à 60 ans ? Des centres palliatifs. Des mouroirs.» Léonie Crevel a été condamnée à deux ans de prison avec sursis.
