Procès Déserteur en Corée du Nord en 1965 alors qu'il servait en Corée du Sud, un soldat américain a été condamné à trente jours de détention pour «aide à l'ennemi». Le soldat Jenkins, du «paradis communiste» au déshonneur Revêtu d'un uniforme trop grand, le «déserteur» Charles Robert Jenkins, 64 ans, était méconnaissable hier en entrant dans la salle du tribunal militaire chargé de statuer sur son sort. En arrivant au Japon au début de l'été, Jenkins était un vieillard affaibli, se déplaçant à l'aide d'une canne. Hier, c'est un homme alerte qui a rejoint d'un pas pressé la cour martiale du camp Zama (à l'ouest de Tokyo), l'une des 107 bases militaires américaines du Japon. Le verdict, énoncé par une juge militaire, la colonelle Denise Vowell, est sans appel. «Le sergent Charles Jenkins est coupable de désertion en Corée du Nord en 1965 alors qu'il servait en Corée du Sud.» Parmi les charges pesant contre lui, Jenkins est accusé d'avoir «enseigné l'anglais» en Corée du Nord. «Aide à l'ennemi», a tranché la juge, avant de condamner le déserteur (à titre provisoire) à trente jours de détention et au «déshonneur». Patrouille. Pendant son procès, Jenkins a avoué les raisons de sa désertion. Durant la guerre de Corée (1950-1953), qui a opposé les Etats-Unis et ses alliés aux armées nord-coréenne et chinoise, les Américains avaient posté des dizaines de milliers d'hommes le long de la zone démilitarisée (DMZ) séparant les deux Corées. Dans la nuit du 4 au 5 janvier 1965, alors qu'il patrouillait avec trois GI à dix kilomètres de Panmunjom, dans un bois longeant la DMZ, Jenkins, promu à 24 ans chef de patrouille de la 8e cavalerie, a fui. Il a raconté hier qu'il ne voulait pas prendre le commandement d'une unité chargée d'éliminer des soldats ennemis. «Je ne voulais pas être responsable pour d'autres soldats sous mon commandement dans ce genre de missions dangereuses.» Il tenait aussi à sa peau. «Il était très facile de se faire descendre par un sniper», a-t-il dit la voix brisée. En janvier 1965, il était aussi persuadé qu'en désertant il échapperait aux combats s'aggravant au Vietnam. «Je ne voulais plus être dans l'armée. Je voulais juste rentrer chez moi.» Le jour de sa désertion, a-t-il raconté, il buvait «depuis cinq heures de l'après-midi». Il a descendu une dizaine de bières. «Je n'avais jamais bu autant d'alcool avant... L'alcool m'a donné le courage de déserter.» Après avoir déchargé son M-14, il a passé la frontière. «Il faisait étrangement froid cette nuit-là. [...] J'ai marché lentement afin de ne pas accrocher un fil de détente et faire sauter une mine... Je réalisais à cent pour cent ce que j'étais en train de faire mais j'en ignorais les conséquences. [...] J'aurais dû demander à retourner à la vie civile mais je ne l'ai pas fait. Ce fut une erreur. J'étais naïf et inconscient.» Vampire. Peu après la disparition de Jenkins, la radio d'Etat nord-coréenne annonçait que Jenkins avait «déserté pour connaître une vie meilleure au paradis communiste». Devenu «citoyen nord-coréen», Jenkins s'est retrouvé en photo à la une de revues du régime. Quant à la radio d'Etat, elle a diffusé quantité d'enregistrements de l'Américain enrôlé également comme acteur. Dans Nameless Heroes, Chapter Twenty, navet de propagande tourné à Pyongyang, Jenkins interprète un espion américain déguisé en vampire... Autant d'«infractions très graves» et de «crimes de trahison». Le verdict d'hier a aussitôt provoqué de nombreuses réactions à Tokyo. Et beaucoup d'émotion. Depuis longtemps, les Japonais ont pris fait et cause pour Jenkins. Il en serait autrement si, au coeur de la rocambolesque saga, il n'y avait une romantique histoire d'amour. Lorsqu'il enseignait l'anglais à Pyongyang, Jenkins a rencontré Hitomi Soga, une Japonaise kidnappée à 19 ans par des agents nord-coréens en 1978. Ils se sont mariés, ont eu deux filles, Mika et Belinda. Elles ont été rapatriées au Japon en 2002. Jenkins est quant à lui resté bloqué à Pyongyang jusqu'en septembre 2004. Avant que Kim Jong-il, sur requête du Premier ministre nippon, Junichiro Koizumi, n'accepte sa «libération».