Annonce Des musées pour les émirs : le Louvre s'exporte dans le GolfeLes pays du golfe Arabo-Persique se livrent à une vive concurrence dans tous les domaines. Les musées n'échappent pas à cette rivalité, et ces institutions culturelles sont en passe de devenir des enjeux stratégiques. Chaque Etat du Golfe, par musée interposé, entend devenir la plate-forme "intelligente" de la région. Le Koweït a déjà le sien. Le Qatar achève la construction d'un Musée des arts islamiques (Le Monde du 17 avril). Abou Dhabi, membre de la fédération des Emirats arabes unis (EAU), riche de considérables réserves en gaz et en pétrole et peuplé de 700 000 habitants, a des ambitions semblables. Mais pour élaborer de tels "outils", il faut s'adresser à des "spécialistes". Français, par exemple.Le futur établissement qatari doit ainsi beaucoup au Louvre : l'architecte en est Ieoh Ming Pei, auteur de la pyramide et du plan du Grand Louvre, et sa muséographie est signée par Jean-Michel Wilmotte, qui a beaucoup oeuvré dans les salles du vieux palais. "Dans le domaine des musées, la France a une réelle expertise, constate le ministre de la culture et de la communication, Renaud Donnedieu de Vabres. Par ailleurs, la culture française a toujours un poids important dans cette partie du monde" ; il souligne que "les enjeux sont esthétiques et scientifiques, mais aussi économiques et diplomatiques".Ce sont d'ailleurs les diplomates plus que les hommes de l'art qui mènent les négociations dans ce domaine culturel. Le 21 juin 2005, une délégation, conduite par le prince sultan Bin Tahnoon Al Nahyan, est venue à Paris pour prendre contact avec des responsables du Louvre. Le prince est un parent du président de la fédération des Emirats, le cheikh Khalifa Bin Zayed Al Nahyan ; il est responsable du tourisme d'Abou Dhabi et préside à ce titre le conseil d'administration de l'Abou Dhabi Tourism Authority (ADTA).La délégation envisage d'acquérir la "marque" Louvre et des prestations fournies par les musées français pour un établissement muséal à implanter sur l'île de Saadiyat. Cette dernière - 27 kilomètres carrés à 500 mètres au large d'Abou Dhabi - est actuellement une réserve naturelle. Rôle qu'elle ne devrait conserver qu'en partie seulement. Car à côté d'un "pôle culturel", constitué notamment d'un ou de plusieurs musées, on trouvera un golf, un ensemble hôtelier de prestige et un quartier résidentiel avec des commerces de luxe. A l'époque, le Louvre ne se montre pas très chaud pour participer à une telle opération.Un mois plus tard, une seconde délégation émiratie, plus importante, rencontre le ministre des affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, et Renaud Donnedieu de Vabres. Ce dernier suggère à ses interlocuteurs de travailler davantage leur concept et d'aller plus loin avec les Français. En février 2006, la directrice des musées de France, Francine Mariani-Ducray, Henri Loyrette, président du Louvre, et Stéphane Martin, son homologue du Quai Branly, s'envolent pour le Golfe, histoire de mieux cerner l'ambition émiratie.Cette ambition est à la hauteur des réserves pétrolières de ce petit Etat, c'est-à-dire vaste. Au départ, les responsables d'Abou Dhabi, conseillés par les Américains et notamment par Thomas Krens, du Guggenheim de New York, envisageaient la construction de plusieurs édifices, chacun dévolu à un secteur culturel très tranché - arts islamiques, arts asiatiques, grands chefs-d'oeuvre classiques occidentaux, arts contemporains, et peut-être un musée maritime.Avant l'été, sans doute sous l'influence de leurs discussions avec les Français, les Emiratis réfléchissaient aussi à un musée à caractère "universel". Au même moment, des noms d'architectes célèbres - le Français Jean Nouvel, le Californien Frank Ghery, la Britannique Zaha Hadid et le Japonais Tadao Ando - circulaient. Il s'agirait pour eux d'imaginer une cité des arts et du savoir, dotée d'un solide volet touristique. Recette magique pour attirer des investisseurs économiques dans la région.L'ADTA, créée en septembre 2004, est responsable du développement du secteur touristique de l'émirat d'Abou Dhabi. Son directeur général est Moubarak Al Muhairi, que l'on retrouve à la tête de la Tourism Development & Investment Company (TDIC), une société par actions constituée en avril 2006 et chargée précisément de l'aménagement de l'île de Saadiyat. Le bras droit d'Al Muhairi est Lee Tabler, qui a une grosse expérience dans le développement urbain des Emirats puisqu'il a piloté le considérable projet immobilier de Dubai Festival City. Le coût de l'opération Saadiyat n'est pas mince non plus : il serait de l'ordre de 1,5 milliard de dollars.Début juillet, les Américains font une percée remarquée. Un accord est signé, pour 400 millions de dollars, entre Thomas Krens, président de la fondation Guggenheim, et le prince sultan Bin Tahnoon Al Nahyan pour la construction, dans les cinq ans (d'ici à 2011), d'un musée devant s'appeler le Guggenheim Abou Dhabi (GAD). Cette pièce maîtresse du projet Saadiyat, d'une surface de 30 000 mètres carrés, le GAD devrait être le plus grand des rejetons du Guggenheim qui, à partir de New York, a essaimé à Venise, Bilbao et Berlin, et songe à s'installer à Hongkong et à Rio de Janeiro. Il doit être conçu par l'architecte Frank Ghery, père du célèbre "Guggenheim" de Bilbao.Ce choix médiatique implique vraisemblablement des formes architecturales spectaculaires, le futur bâtiment devant constituer une vitrine internationale. Quant à l'estampille Guggenheim, elle est un signe ostensible de crédibilité dans le domaine de l'art contemporain. Mais les Emiratis gardent la main sur le musée, qui reste la propriété de la TDIC. La fondation Guggenheim est quant à elle chargée de développer la collection du GAD, d'en programmer les expositions et de proposer des initiatives à caractère éducatif.Cet accord avec les Américains invalide-t-il les chances des Français à Abou-Dhabi ? On fait valoir à Paris qu'il reste de la place à côté du Guggenheim. La fourniture par la France de la conception et de l'ingénierie d'un autre ensemble muséal reste à l'ordre du jour. "Nous poursuivons avec beaucoup de précautions le travail que nous avons commencé avec nos homologues d'Abou Dhabi, explique Renaud Donnedieu de Vabres. Nous réfléchissons avec eux à l'implantation d'un important établissement, multidisciplinaire et multiculturel, offrant un choix de collections allant du classique au contemporain, englobant des objets venant de toutes les époques et de tous les horizons culturels. Le concept et la présentation de ce musée doivent être neufs."Cette vitrine du savoir-faire français devrait être financée par des fonds émiratis à hauteur de 1 milliard d'euros. Plusieurs musées français seraient associés au projet dont le Louvre, le Centre Pompidou, le Musée Picasso et celui du Quai Branly, ainsi que le palais de Versailles.Selon le ministre, le projet devrait être bouclé avant la fin de l'année 2006. "Ce projet de coopération d'Etat à Etat, dans un endroit sensible du monde, pourrait servir de répétition générale", indique Renaud Donnedieu de Vabres, qui s'est vu confier par le premier ministre, Dominique de Villepin, "une mission opérationnelle pour le rayonnement international de nos musées."
