Catastrophe Des centaines de Guyanais chassés de chez eux par la crue du MaroniLes pluies abondantes ont gonflé les eaux du Maroni, qui sert de frontière à l'ouest du département, entre la Guyane française et le Surinam, provoquant depuis une quinzaine de jours des inondations importantes dans une région située en pleine forêt amazonienne et accessible uniquement par le fleuve ou les airs. La crue se déplace lentement vers l'aval et a touché successivement les Amérindiens Wayanas, puis les tribus noires Aluku et Djuka.Le pays djuka a été particulièrement éprouvé, notamment autour de Grand Santi. La gendarmerie nationale y a mesuré une hauteur maximale des eaux de 4,90 m quand, les précédentes années, elle n'excédait pas 2,50 m au plus fort de la saison des pluies. Les populations locales vivent sur les berges du fleuve. Quelques milliers de personnes - aucun recensement précis n'a encore été possible - sont ainsi disséminées. Le téléphone reste rare, dans une zone qui s'étend sur plusieurs dizaines de milliers de kilomètres carrés.Les structures traditionnelles sur pilotis n'ont pas préservé leurs habitants des effets dévastateurs de l'eau. Tout au long du fleuve, côté français ou surinamais, des centaines d'habitations se retrouvent sous l'eau. De nombreuses familles ont perdu leurs biens, emportés par le courant. Les captages d'eau potable et les groupes électrogènes ont été coupés à plusieurs endroits. Les habitants en sont réduits à boire l'eau du fleuve.Dans les villages d'Apagui ou de Mofina, une centaine d'habitants ont trouvé refuge dans les bâtiments de l'école, où l'enseignement est suspendu depuis le 5 mai. Des femmes et des enfants ont tendu des hamacs dans les salles de classe. "Ils ont sauvé ce qu'ils ont pu, notamment leurs réserves de vivres, explique Marc Perinet, un des instituteurs. Mais beaucoup ont vu leurs habitations en partie détruites et ne savent plus où aller."ORGANISER LES SECOURSA Assissi, Pierre Fofi, 53 ans, un Aluku, a investi l'étage de sa maison inondée : il vit là avec sa femme et ses trois jeunes enfants, dans à peine dix mètres carrés où l'on ne peut se tenir debout. "Les gens ne veulent pas quitter leur maison, par peur des voleurs", affirme-t-il. L'homme assure n'avoir jamais connu, de sa vie, une telle crue. Faute de données statistiques fiables, il faut s'en remettre aux souvenirs des anciens : beaucoup estiment qu'il faut remonter à trente ans pour retrouver pareille situation.Après avoir peiné à évaluer les dégâts, les autorités françaises tentent aujourd'hui d'organiser les secours. L'armée a déjà acheminé deux expéditions - de trois tonnes chacune - d'eau et de vivres. Huit tonnes supplémentaires sont annoncées. Une organisation humanitaire néerlandaise basée au Surinam a également effectué des distributions du côté français du fleuve. En tournée sur place, le sous-préfet de Saint-Laurent-du-Maroni, François Chauvin, a estimé "très difficile de quantifier le nombre des sinistrés". "Les populations affectées se sont déplacées sur les points hauts, chez ceux qui n'ont pas été touchés, et ne se sont pas signalées aux autorités", explique-t-il.Une décrue semble s'amorcer. Mais la saison des pluies ne s'achève qu'au moins dans un mois et les habitants craignent une nouvelle remontée des eaux. La priorité est de rétablir partout l'eau potable et l'électricité. Les autorités sanitaires doivent désormais prévenir d'éventuelles épidémies. Il faut également entamer une campagne de démoustication, les eaux stagnantes favorisant l'éclosion des larves : la Guyane est en zone impaludée et doit, en outre, juguler depuis plusieurs mois une épidémie de dengue.A plus long terme, se pose également le problème de la subsistance. Nombre des champs provisoires ouverts dans la forêt, baptisés ici abattis, ont été noyés. Le manioc et les autres plantes ont pourri sur pied. "Pour le moment, nous vivons sur nos réserves, explique Touenke Amaï Petit, chef des Wayanas. Mais elles s'épuisent. Nous allons avoir besoin d'aide." Les sinistrés tentent de rafistoler leurs maisons avec les moyens du bord. Nombreux sont ceux qui aimeraient reconstruire ailleurs. Mais, faute de moyens, ils reviendront chez eux, une fois l'eau repartie.
