Tendance Depuis 1987, date de fondation de sa maison de couture parisienne, Christian Lacroix fait des costumes pour l'opéra, le théâtre et la danse. Pour l'Opéra de Marseille, il vient de concevoir les costumes de Maria Golovin, un opéra méconnu de Gian Carlo Menotti que met en scène Vincent Boussard, avec lequel Lacroix travaille régulièrement, notamment au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles. Pour Le Monde, le couturier revient sur cette activité qui lui tient à coeur et qui témoigne d'un style parfois très éloigné de la flamboyance de ses collections de haute couture.Comment vous est venue l'envie de faire des costumes de scène ?Mon arrivée dans le métier de la mode est en fait accidentelle. Je n'ai jamais eu, enfant, l'envie d'habiller des poupées et je me souviens qu'à l'école, je préférais construire de petites maisons. Mes études me destinaient plutôt à être conservateur de musée. Si j'avais dû travailler dans le spectacle, j'aurais probablement d'abord construit des décors. Je me suis d'ailleurs toujours considéré comme un illustrateur, fonction que j'incarne de multiples façons, de l'illustration de livres ou de l'hôtel du Petit-Moulin, à Paris. En revanche, je me souviens très bien qu'après un film, un spectacle qui ne m'avaient pas plu, j'ai longtemps refait pour moi-même la mise en scène, les costumes et les décors.Votre milieu familial était-il mélomane ?Oui mais sans excès. En Arles, on aime l'opéra et la tauromachie, Carmen, évidemment, et Orange n'est pas loin.. Arrivé à Paris, je me suis bientôt abonné à l'Opéra. J'ai fréquenté en Camargue des proches de Marie-Laure de Noailles, le symbole de toute une époque, celle des bals costumés. J'ai beaucoup rêvé à propos des fêtes d'un autre mécène, Lily Pastré, en marge du Festival d'Aix-en-Provence. Elle avait engagé Christian Bérard pour décorer un Songe d'une nuit d'été dont tout devait brûler à la fin du spectacle. Un feu de joie au service de l'éphémère : un idéal ! Mon idée est que chaque spectacle réinvente un style et me permette de me glisser dans l'imaginaire des autres.Quelle est la différence entre un costume de scène et une création de vêtement ?Lors d'une exposition de costumes de la Tétralogie de Wagner, naguère à l'Opéra de Paris, une pièce m'avait fasciné : de loin elle était extraordinaire, mystérieuse ; de près, je me suis rendu compte qu'elle était faite de sacs-poubelle ! C'est cela la magie d'un costume de scène. Certaines robes de haute couture permettent de jouer sur ce type d'illusion, et il n'y a rien de plus jouissif que de mêler des éléments ordinaires aux broderies sublimes de Lesage ! La distance entre l'oeil et le costume de scène laisse de la liberté. Même certains tissus grossiers peuvent créer un effet de volume extraordinaire.La haute couture permet de relativiser la "portabilité" d'un vêtement ; qu'en est-il d'un vêtement pour la danse, domaine dans lequel vous avez aussi beaucoup travaillé ?Il faut effectivement que le créatif ne contredise pas le pratique. J'aime observer le travail en train de se faire. Je me souviens d'un danseur qui interprétait le rôle du Minotaure. Il prenait sans cesse la même pose devant le miroir, les coudes pliés le long de la tête. D'où l'idée, malheureusement non réalisée, de lui fixer des cornes aux coudes... C'était une évidence organique. Pour les chanteurs, il faut veiller à ce qu'ils puissent respirer, mais la liberté du costumier est en ce cadre naturellement plus grande.Qu'attendent de vous ceux qui vous commandent des costumes de scène ?Je n'ai pas toujours été le bienvenu... Une actrice de la Comédie-Française m'avait un jour lancé sèchement : "Nous ne sommes pas des mannequins !" Mais ma modestie doit en convenir, certains veulent la "marque" Lacroix comme un "plus" sur une affiche. Lorsque je sens que c'est le cas, je refuse car je n'ai guère de temps pour autre chose que de vraies collaborations.Le plus amusant est de voir certaines cantatrices qui me font la surprise et le plaisir de s'habiller chez moi en prêt-à-porter pour la ville ou leurs concerts et qui se réjouissent à l'idée de porter du Lacroix "sur mesure"... L'une d'entre elles, dans la production de Maria Golovin, a été presque choquée de voir le costume volontairement terne que je lui ai confectionné. Il a fallu la convaincre qu'il fallait quelque chose qui soit tout sauf du Lacroix flamboyant...Maria Golovin, de Gian Carlo Menotti. Opéra de Marseille, 2, rue Molière, Marseille. Du 12 au 19 mai. Avec Nuccia Focile (Maria Golovin), Nader Abbassi (direction), Vincent Boussard (mise en scène), Vincent Lemaire (décors), Christian Lacroix (costumes). Tél. : 04-91-55-11-10. De 8 € à 63 €.
