Procès Début de l'instruction pour les accusés de deux millions de morts en 1975-1979.La machine de mort khmère rouge face à ses jugesAvec un regard terrible, le géant de Phnom Chisor brandit une massu d'une main et de l'autre pointe un doigt accusateur. «Il est capable d'arracher un palmier à sucre et de le jeter en l'air», dit Reach Sambath, porte-parole du tribunal khmer rouge. Des offrandes en feuilles de bananiers, où sont plantés des bâtons d'encens, ont été déposées devant la statue du héros légendaire qui trône face au bâtiment flambant neuf à l'architecture traditionnelle. Là va se tenir le procès des dirigeants khmers rouges qui ont fait périr environ deux millions de Cambodgiens entre 1975 et 1979. «Je prie tous les matins devant le géant. Nous voudrions que les suspects et les témoins prêtent serment devant la statue, mais cela dépend des juges», poursuit Sambath.Sur le même sujet Un tortueux travail de mémoireFossé.Des ouvriers creusent un fossé «pour arrêter les voitures non autorisées qui voudraient s'approcher». D'autres posent les structures des cellules où seront enfermés les suspects pendant le procès qui commence aujourd'hui avec la prestation de serment des juges et qui devrait durer trois ans. Dans la salle d'audience immaculée, 500 sièges pliables sont fixés dans le sol face à une grande scène en bois de teck. On dirait un théâtre. C'est d'ailleurs ce que dit le signe en khmer sur le bâtiment, qui va être bientôt remplacé par «Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens».Près de dix ans après d'âpres négociations, le procès des Khmers rouges auteurs des crimes contre l'humanité parmi les plus graves commis au XXe siècle entre dans sa phase concrète. La phase d'instruction, censée durer un an et demi, débute courant juillet. Si les bâtiments sont prêts à accueillir suspects, témoins et visiteurs, bien des points restent obscurs quant au déroulement du procès. Le format adopté est unique : les juges d'audience, les juges d'instruction et les procureurs sont pour partie Cambodgiens et pour partie étrangers. Toutes les décisions seront prises à la «super majorité», ce qui signifie qu'elles nécessiteront l'accord d'au moins un juge étranger. Les lois cambodgiennes seront appliquées et, si elles sont obscures ou muettes sur un point de droit, il sera possible de recourir au droit international.Vivants.Des aspects fondamentaux du procès ne sont pas encore clarifiés, à commencer par l'identité des accusés appelés à comparaître devant le tribunal. L'accord de 2004 entre le gouvernement cambodgien et l'ONU dispose que doivent comparaître les «principaux dirigeants khmers rouges et ceux les plus responsables pour les crimes sérieux». La logique voudrait que les quatre membres encore vivants du bureau politique du Parti communiste du Kampuchéa (qui a dirigé le pays d'avril 1975 à janvier 1979) se retrouvent sur les bancs des accusés : Nuon Chea (ex-commissaire politique de l'armée), Ieng Sary (ex-chef de la diplomatie), Khieu Samphan (ex-chef d'Etat) et Ta Mok (ex-chef de la région sud-ouest). S'y ajoute Duch, le chef du centre de sécurité S-21 à Phnom Penh, où ont péri après d'affreuses tortures 14 000 personnes. Mais des experts soulignent que des cadres locaux ont pu aussi commettre de graves violations des droits de l'homme. «Dans chaque district, il y avait un centre de sécurité. C'est au niveau du district qu'étaient ordonnées les arrestations, qui aboutissaient presque toujours à des exécutions», explique un enquêteur cambodgien. L'implication des échelons inférieurs du Kampuchéa démocratique inquiète le gouvernement du Premier ministre, Hun Sen, car cela pourrait éclabousser certains de ses proches. Le président du Sénat, Chea Sim, par exemple, était chef d'un district dans la province de Kompong Cham pendant la période khmère rouge.
