Mort de Shahrock Meeskoob
Mort de Shahrock Meeskoob, l'un des intellectuels iraniens les plus discrets et les plus importants, est mort à Paris, mardi 12 avril.Né en 1925 dans le nord de l'Iran, il a vécu son enfance à Ispahan, étudié les lettres et le droit à Téhéran, avant d'enseigner la littérature persane et d'exercer divers métiers.Communiste, il milite au parti Tudeh, est emprisonné, et a le courage intransigeant de ne pas céder au pouvoir mais de rompre avec les communistes à la suite de l'invasion soviétique de la Hongrie et du rapport Khrouchtchev. Shahrokh Meskoob était attaché à l'ancienne notion iranienne de la justice, qu'il fusionnait avec la morale d'Antigone.Ayant perdu toute croyance dans les appareils de la politique révolutionnaire, épris de liberté, hostile aux effets politiques de la religion, mais fidèle à sa patrie, il a quitté l'Iran en 1979 pour vivre à Paris, jusqu'à sa mort.De 1957 à 1968, il a fait paraître des traductions en persan des Tragiques grecs. Lecteur de Thomas Mann ou de Marcel Proust, il en éclairait la littérature classique de l'Iran, et instruisait des richesses du Livre des rois de Ferdousî, à qui il a consacré Introduction à Rostam et Esfandyar (1964), Le Deuil de Syavosh (1972) et Le Corps du héros et l'âme du sage (1996).En 1979 parut Dans la demeure de l'ami. La spiritualisation croissante de l'oeuvre se dévoile dans Sommeil et silence (1994) et Voyage dans le rêve (1998). L'Identité iranienne et la langue persane (1995) signale que Shahrokh Meskoob appartenait à cette génération qui voulait que la production littéraire se substitue à l'impossible politique. Or, selon lui, cela supposait une résistance linguistique, dont le premier exemple avait été la renaissance du persan après la conquête musulmane.Shahrokh Meskoob aura été le contemporain de Forough Farokhzad, de Kasravî, de Shamlû, de Sepehrî, de l'érudit Safâ, l'ami de Youssef Ishaghpour et de Dariush Shayegan, de ceux qui métamorphosèrent la plus ancienne tradition en réveillant sa puissance créatrice de futur. Comme ses autres ouvrages, son Journal, Sur le chemin des jours, attend d'être traduit. Une trilogie, Partir, rester, revenir, est en préparation aux éditions Actes Sud.Meskoob m'a fait percevoir les consonances, les modulations d'un lexique subtil, l'âme de la langue persane. Il avait le pouvoir de révéler les formes éternelles et universelles dans la miniature d'un poème ou dans les plis d'une page de prose. Il faisait vivre les correspondances les plus improbables, entre des millénaires d'ancienne civilisation et l'espace du présent. Avec lui, la douleur, l'amour, l'espérance et l'humour, ces thèmes de la pensée iranienne devenaient sensations immédiates.Quelques jours avant sa mort, Shahrokh Meskoob s'émerveillait d'une page écrite au XVIIe siècle, en son cher Ispahan, page où une sévère philosophie s'éclaire brusquement de dix vers de Rûmî et de vingt lignes traduites du grec. Tout à ce bonheur savant, il contemplait, amusé, l'éternité. Il était l'hospitalité incarnée, lui qui vivait l'exil.