Nouveau/elle De nouvelles images en 3D des squelettes humains Une équipe de physiciens et de médecins français a mis au point une technique de radiologie qui permet de reconstituer en trois dimensions l'intégralité de l'ossature, tout en réduisant fortement les doses de rayons X pour les patients. Deux prototypes du système fonctionnent déjà. Un prix nobel est presque toujours le prestigieux couronnement d'une carrière scientifique. Il peut aussi déboucher sur le développement de techniques novatrices. Ainsi en est-il du prix Nobel de physique attribué en 1992 au Français Georges Charpak, récompensé pour une découverte permettant de détecter en temps réel et d'analyser les trajectoires des particules dans le but de mieux connaître la structure de la matière. Treize ans plus tard, ce travail est directement à l'origine de la communication faite, mardi 15 février, par l'Académie nationale de médecine au sujet d'un nouvel appareil d'imagerie médicale qui présente a priori de nombreux avantages. Baptisé EOS, cet instrument est le fruit d'une collaboration étroite entre plusieurs équipes et plusieurs disciplines scientifiques (physique des rayonnements, biomécanique) et médicales (radiologie et orthopédie pédiatrique). CHIRURGIE ORTHOPÉDIQUE C'est en 1996 que Georges Charpak et la société Biospace Instruments ont commencé à s'intéresser aux possibles applications, dans le domaine de la radiologie médicale, des détecteurs gazeux, des systèmes mis au point par ce dernier pour la physique des hautes énergies et les accélérateurs de particules du Centre européen pour la recherche nucléaire (CERN) installé à la frontière franco-suisse. Ces instruments permettent la conversion, dans un gaz sous pression, de photons X en électrons. Electrons qui sont ensuite amplifiés et détectés par une chaîne électronique adaptée. Un premier prototype mis au point en 1997 avait démontré l'intérêt de la technique, mais aussi révélé ses faiblesses : manque de résolution spatiale des clichés et lenteur d'obtention des données. "Depuis, de nouvelles technologies de détecteurs utilisant les circuits imprimés de haute densité et des modifications de l'architecture interne des détecteurs ont été développées,expliquent les responsables de ce projet. Elles permettent des résolutions de l'ordre de 250 μm parfaitement adaptées à l'imagerie de l'os. Ces détecteurs fournissent des images de très grande dynamique, ou profondeur, c'est-à-dire possédant un nombre de niveaux de gris discernables très important : 30 000 à 50 000, contre une centaine avec un film classique." Les techniques de reconstruction des images en trois dimensions ont été développées conjointement par le laboratoire de biomécanique de l'Ecole nationale des arts et métiers, le laboratoire de biomécanique associé au CNRS et le laboratoire de recherches en imagerie et orthopédique de Montréal (Canada). A l'occasion de la présentation à l'Académie nationale de médecine, les docteurs Jean Dubousset, Gabriel Kalifa et Solène Ferey (hôpital Saint-Vincent-de-Paul, Paris) ont développé les principaux avantages de cette technique d'imagerie opérationnelle depuis 2003. Elle permet d'abord une réduction considérable des doses de rayons X auxquelles le patient est soumis : de 8 à 10 fois moins que la radiologie conventionnelle en deux dimensions et de 800 à 1 000 fois moins que la tomodensitométrie tridimensionnelle (ou scanner). D'autre part, à la différence du scanner ou de l'imagerie par résonance magnétique nucléaire (RMN), l'examen est effectué alors que le patient reste en position debout ou assise. Le radiologue peut, s'il le juge nécessaire, obtenir des clichés simultanés de face et de profil, du sommet de la tête jusqu'à la plante des pieds. Il peut aussi reconstruire en trois dimensions tous les niveaux ostéo-articulaires avec une précision aussi grande que celle obtenue par les appareils de tomodensitométrie conventionnelle. Une première évaluation a été menée sur un examen de routine de radiologie pédiatrique portant sur le rachis entier de malades souffrant de scoliose. "Cet examen a été choisi en raison de l'importance des doses délivrées pour ces clichés de face et de profil, en particulier au niveau des organes sensibles, qu'il s'agisse de la moelle osseuse, des seins ou des gonades, précise le docteur Dubousset. Il a aussi été choisi en raison de la fréquence des radiographies souvent nécessaires pour vérifier le caractère évolutif de ces déformations et leur contrôle après traitement orthopédique ou chirurgical." Pour ses promoteurs, l'EOS ne devrait pas faire double emploi avec les appareils d'imagerie par résonance magnétique. Dans un premier temps, cette nouvelle technique permettra de mener de nouvelles études de la pathologie ostéo-articulaire, en particulier du rachis et des membres inférieurs. Plus généralement, ces images des squelettes humains pourraient conduire à une évolution des indications de la chirurgie orthopédique et des techniques de correction. Jean-Yves Nau Les premiers appareils annoncés pour 2006 Créée en 1989 par trois physiciens soucieux de valoriser les travaux de Georges Charpak, la société Biospace Instruments a, dans un premier temps via sa filiale Biospace Mesures, développé des techniques d'imagerie moléculaire aujourd'hui utilisées par de nombreuses multinationales pharmaceutiques. C'est à partir du milieu des années 1990 qu'elle s'est intéressée à la radiologie en collaboration avec différentes équipes de recherche publique. "Deux prototypes d'EOS sont aujourd'hui en fonction en France et en Belgique. Deux autres le seront sous peu au Canada, précise Marie Meyladier, PDG de la société. Les premiers appareils seront livrés en 2006 en Europe et aux Etats-Unis. Leur coût unitaire sera de l'ordre de la moitié de celui d'un scanner de dernière génération." Actuellement en phase de recapitalisation, Biospace Instruments emploie une quinzaine de personnes.